Hundreds of Beavers, né de l’esprit du duo américain Mike Chelsik et Ryland Brickson Cole Tews, s’apparente à première vue à une énorme ivresse cinématographique totalement bis et pas forcément vecteur d’intelligence en apparence. Le long-métrage se veut avant tout comme une immense parodie délirante aux influences multiples ainsi qu’un pur produit calibré pour faire sensation en festivals.
Le binôme d’artiste, respectivement réalisateur et co-scénariste/acteur principal, avait déjà offert par le passé plusieurs courts-métrages ainsi qu’un premier long : Lake Michigan Monster (2018). Dans leurs précédents travaux, il était déjà possible de saisir un goût prononcé pour un humour frontal et décomplexé, ainsi qu’ à une certaine cinéphilie manifeste dans cette volonté de rendre hommage au cinéma classique. Avec Hundreds of Beavers, le récit nous propose de suivre les péripéties de Jean Kayak, un trappeur égaré dans les montagnes nordiques et ayant perdu tous ses biens, comprenant parmi ceux-ci la réserve d’alcool dont il était propriétaire. Il recommence donc littéralement à nu, au plus bas de l’échelle, et va devoir remonter la pente en affrontant les éléments hivernaux ainsi que toutes sortes d’animaux…dont une colonie de centaines de castors.
Dès les premières minutes, la proposition est établie : le long-métrage s’ouvre sur un noir et blanc sans parole, mélangeant animation et prises de vues réelles. Les décors seront la plupart du temps extrêmement rudimentaires, faits d’un mélange d’éléments véritables et de collages. Les différents costumes des personnages, et principalement ceux des différents animaux, seront dignes d’un déguisement de fête foraine. Le projet a été produit pour une somme dérisoire, mais il rend tellement ses outils, objets et environnements les plus fonctionnels possibles qu’il ne semble pas se soucier de la question des limites que le budget pourrait normalement impliquer. Les éléments à l’écran sont simplifiés à leur plus simple représentation et ne servent qu’à remplir leurs fonctions premières. Hundreds of Beavers embrasse le grotesque, mais l’assume et crée une forme de cohérence dans l’univers spécifique qu’il met en place.
Le long-métrage va très rapidement faire part de ses influences et de son envie de rendre hommage au cinéma burlesque des années 1920, citant autant Buster Keaton qu’Harold Lloyd. On retrouve également un aspect très cartoonesque à la Tex Avery, assurant un mariage immédiat. L’humour quasiment omniprésent adopte le slapstick et pousse la notion de comique de répétition dans ses derniers retranchements. Si cela peut prendre le risque d’épuiser le spectateur sur la durée (rappelons que le métrage se permet de frôler les 1h50), les cinéastes arrivent à justifier cela en associant peu à peu leurs gags en en faisant l’un des moteurs qui permettra au protagoniste principal d’évoluer et d’avancer dans son périple. Cet héritage burlesque/cartoon se dévoile autant dans le travail des bruitages que dans le visuel singulier, l’une des séquences du climax rappellera directement l’un des plans les plus célèbres de Les Temps Modernes (1936) de Charlie Chaplin. Rappelons que si ces influences sont les plus évidentes, elles ne se limitent pas qu’à cela et le métrage se permet même l’audace d’aller déclarer son amour au Kaiju Eiga lors de certains passages, assumant encore une fois la liberté de ton totale du projet.
Si le personnage évolue grâce à sa compréhension progressive de son environnement, il est étonnant de constater que le duo de cinéaste auront également verni Hundreds of Beavers d’une inspiration et d’une logique propre au jeu vidéo. Jean Kayak va en effet devoir récupérer une forme d’équipement et d’ensemble de compétences très similaire à ce que l’on peut retrouver dans le média en question. Cet élément va jusqu’à s’appliquer dans la manière que le long-métrage a de faire se déplacer son protagoniste dans l’espace qui l’entoure. C’est par ce prisme que le trappeur va pouvoir littéralement se représenter les contours de l’univers auquel il a accès, et c’est aussi par ce moyen que le spectateur va avoir conscience des lieux, les accepter et les lier mentalement.
Hundreds of Beavers se permet tout avec presque rien en créant une forme de dessin animé burlesque géant multipliant et justifiant les clins d’œil cinématographiques ainsi qu’à d’autres média. Il pose sa propre logique et la porte tout du long sans jamais la contredire. Si le métrage peut se montrer épuisant, il assume son mariage des codes qu’il emploie et défend un jusqu’au-boutisme de ses concepts. Il s’agit d’une œuvre unique en son genre se savourant autant pour ses partis-pris formels que pour sa volonté d’en faire un visionnage résolument festif.
Offscreen Liège vous propose, ce mercredi 17 avril à 19h30, de venir découvrir ce potentiel film culte de demain au Pirate Movie Club, dans le cadre d’une projection qui elle le sera avec certitude !
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Vladimir Delmotte
Dit "Le Comte", Vladimir est passionné de cinéma depuis qu'il est tombé sur une rediffusion CANAL+ en crypté de "Gorge Profonde". Il n'a de cesse depuis lors de hurler sur des publics de cinéclub, voire sur de simples passants dans la rue pour expliquer à quel point les images en mouvement, c'est trop génial. Plus de publications