Depuis quelques mois, un film faisant la tournée des festivals semble faire l’effet d’une petite bombe auprès des spectateurs et des critiques. Unanimement applaudi et perçu comme le choc de 2024, cette œuvre s’appelle Les Chambres Rouges.
Il s’agit du quatrième long-métrage de Pascal Plante dont le précédent film Nadia Butterfly, avait été retenu en sélection officielle de la 73ème édition du Festival de Cannes en 2020. Plutôt habitué du drame intimiste, le réalisateur nous livre ici son premier polar horrifique. Et pour un premier essai au genre, c’est une réussite.

Pascal Plante choisit ici d’aborder une thématique rarement portée à l’écran, celle de la fascination morbide pour la violence et les tueurs en série.
A une époque où les documentaires sur les meurtriers et émissions de type « true crime » passionnent, le film nous plonge dans l’obsession de deux femmes pour un homme accusé d’avoir tué trois adolescentes avant de partager leurs exécutions sur le dark web. Thriller anxiogène et récit paranoïaque, le cinéaste s’inspire des maitres du polar et multiplie les références à des réalisateurs comme David Fincher ou Michael Haneke, pour ne citer qu’eux, tout en bouleversant le paysage cinématographique québécois actuel.

C’est par un long plan séquence de 25 minutes brillamment orchestré dans une salle d’audience que nous pénétrons dans le procès de Ludovic Chevalier, tueur en série fictif ayant assassiné trois adolescentes au cours de séances filmées et diffusées sur le dark web, dans les fameuses Chambres rouges dont le film porte le titre. En marge de ce procès, deux jeunes femmes veillent à se réveiller chaque matin devant les portes du Palais de Justice afin d’assister au plaidoiries. Cette séquence pourrait nous laisser attendre à un film de procès classique mais sa force ne réside pas dans les instances et les témoignages. Il s’éloigne du prisonnier mutique suspecté des meurtres pour se concentrer sur un phénomène qui gravite autour des serial killers : celui des groupies. Ce fanatisme est montré à l’image par le personnage de Kelly-Anne interprétée par Juliette Gariépy, jeune mannequin et énigmatique joueuse de poker en ligne et Clémentine, jouée par Laurie Babin, groupie naïve.

 

 

 

 

Les Chambres rouges se fait donc l’exploration d’une attirance pour le sordide et s’interroge sur la fascination collective envers les meurtrier et la violence, violence rarement montrée à l’écran. Celle-ci réside principalement dans le non-dit, le hors champs. La mise en scène se base en effet sur les réactions des personnages afin de nous révéler toute la dureté et l’horreur des scènes de torture. Le réalisateur joue avec le pouvoir évocateur de sa caméra et choisit tantôt de suggérer, tantôt de montrer, confrontant le spectateur à la brutalité du son et au choc d’une image. La musique, rappelant les cris stridents des victimes, participe également à dénoncer la monstruosité des actes commis et à instaurer une tension ainsi qu’une rage sous jacente.

Tout au long du métrage, la caméra va surtout épouser le point de vue de Kelly-Anne dont l’état psychologique se dégrade au fil des scènes. L’esthétique colle au départ au coté cartésien du personnage avant de s’assouplir en devenant plus spontané avec notamment l’utilisation d’une caméra à l’épaule en milieu, voire fin de film. Lorsque la paranoïa s’intensifie, la réalisation devient plus nerveuse et oppressante.
Juliette Gariépy est une révélation et apporte à la protagoniste principal un énorme pouvoir magnétique et hypnotique. Elle apparaît comme mystérieuse, rien n’est révélé sur son passé ou ses motivations. Elle laisse le spectateur à distance et empêche toute identification tout en dressant un parallèle pertinent entre son attraction envers le tueur et celle que le public peut ressentir pour elle. Laurie Babin n’est pas en reste et apporte une touche de fraicheur et de vitalité au récit. Elle est également au centre de retournements et questionnements psychologiques et permet surtout une réelle accroche émotionnelle à l’histoire.

Très moderne, le film aborde également les thématiques de la cyber sécurité et de l’intelligence artificielle avec notamment l’IA de Kelly-Anne qui apporte une légère touche d’humour et surtout avec ces fameuses « chambres rouges » qui diffusent en direct des scènes de torture, de meurtre ou de viol sur internet. Dans l’idée de dénoncer une société hyper médiatisée, Pascal Plante place les écrans au cœur de son récit. Ces derniers font partie intégrante de l’histoire et sont souvent filmés en gros plans, qu’il s’agisse d’extraits de journaux télévisés ou des réactions via des commentaires sur des forums par exemple. Les écrans en viennent à envahir le quotidien des protagonistes et sont les déclencheurs d’enjeux émotionnels importants. Le personnage de Kelly Anne ne vit qu’au travers de l’image renvoyée par les écrans, que ce soit via son métier de modèle où sa passion pour le poker en ligne. Ils la façonnent mais l’isolent et participent à sa perte d’ancrage avec la réalité et son glissement vers une certaine folie.

 

 

 

 

Le film n’hésite pas également à dresser un portrait pervers du journalisme dans sa culture du voyeurisme et du scandale, notamment via des scènes de plateaux TV où tout est mis en scène pour créer le buzz. Le public est constamment en recherche de stimuli violents, de sensationnalisme et de ressources terrifiantes qui amènent finalement à glorifier des meurtriers. Il suffit d’ailleurs d’ouvrir n’importe quelle plateforme de streaming pour nous retrouver confronter à des séries documentaires sur les « œuvres » des serials killer. Il serait étonnant de ne pas voir dans Les Chambres Rouge une certaine inspiration et référence à David Cronenberg et son Videodrome, œuvre qui dénonce aussi la place de la violence dans nos télévisions et de la descente aux enfers que cela peut engendrer.

Les Chambres Rouges, en partant d’un procès sordide vient donc à toucher une vérité déconcertante, celle de la culture des images, des réseaux et des dérives de la médiatisation et d’internet. Véritable film d’horreur abordant l’inhumanité derrière les snuff movie, il nous questionne sur notre rapport à la violence et au sadisme. A force d’être sans cesse confrontés à de la brutalité à travers nos écrans sommes nous devenus insensibles ? Prenons nous du plaisir face à la souffrance d’autrui ? Sommes nous prêt à aller toujours plus loin pour satisfaire nos pulsions voyeuristes ?

Le film est diffusé le 04 avril au cinéma Churchill dans le cadre d’OFFSCREEN LIEGE !

Curieuses, curieux, Join the Cult!



 

Marine Laboury

Apprentie scénariste vouant un culte au cinéma et petite voix qui parle de films dans tes oreilles. Biberonnée aux slashers dès sa plus tendre enfance elle a développé le talent ultime de déceler l’identité des tueurs de Scream dès les premières minutes. Attention, l’inviter c’est vous faire spoiler !