Après le porno, la perceuse vs. New-York Sorti en 1979, Driller Killer constitue le premier film de la filmographie « officielle » d’Abel Ferrara, sa première réalisation étant un porno subtilement nommé Nine lives of a wet pussy en 1976.



Le cinéaste nous offre ici une œuvre étrange et singulière typiquement ancrée dans les seventies. Si le long-métrage est finalement très facilement oubliable, il en reste une représentation de son époque, teintée d’une couche de mauvais goût extravagant. L’atmosphère, se situant entre le poisseux, la violence et l’esprit profondément rock’n roll, voire punk, y est pour beaucoup dans l’intérêt que les spectateurs (avertis) offriront au film.

Driller Killer, dépeint le quotidien de Reno, interprété par Abel Ferrara lui-même sous un pseudonyme, un personnage visiblement en proie à l’errance dans l’immensité et le tapage new-yorkais alors que celui-ci semble essayer tant bien que mal de vendre ses peintures. Peu à peu, l’artiste semble sombrer face à l’anarchie et la misère que représente son environnement. Comme l’annoncent subtilement les différentes affiches du film, le jeune esthète finira par s’abandonner à ses démons et à la violence qui l’habite en dirigeant sa vengeance contre ceux ayant déjà succombé à la pression qu’exerce la titanesque ville. Reno va effectuer un massacre à la perceuse en cédant à toutes ses pulsions, éliminant sans abris, artistes ratés et prostituées. Le cinéaste, derrière un aspect relativement loufoque, crie sa propre rage et se permet de réaliser une forme d’auto-portrait sur sa pensée profonde.

Finalement, c’est le refus de voir l’échec des autres de Reno que le cinéaste exprime via ce jeu de massacre. C’est en effet ses propres reflets que le personnage principal, armé de sa perceuse, décime. Il n’en veut pas tant aux êtres qu’il assassine qu’à la ville elle-même, ainsi que tout ce qu’elle représente. Le film est vendu comme un film d’horreur, mais il en est assez loin sur le plan formel. Il n’est pas interdit de le comparer au Taxi Driver de Martin Scorsese dans cette volonté de traiter New-York comme le personnage principal, voire l’antagoniste du récit. La mégalopole semble fatiguée, rongée par le crime, la misère et les différentes drogues. Tout semble converger vers cet inévitable déchirement qui mènera à cette spirale de folie. Driller Killer, s’il n’a pas la maestria du réalisateur italien, représente pourtant tout autant son époque, peut-être simplement d’une manière hautement plus prosaïque. C’est un témoignage parmi d’autres sur le New-York des seventies, une cité exerçant tout son poids sur sa propre population.



Le résultat final semble assez inclassable par bien des aspects. Ferrara choisira pourtant de faire glisser son récit vers une ambiance plus proche du slasher dans sa seconde moitié pouvant paraître comme une intrusion dans le récit, mais cohérente avec le propos que veut véhiculer le cinéaste. Cette partie reste la moins intéressante du métrage tout en étant finalement l’événement attendu. C’est peut-être justement en refusant d’être un simple slasher que le film arrive à surprendre et à se démarquer dans ses ambitions de ce qu’il semblait être sur le papier. Cela participe également à renforcer ce sentiment pour le spectateur d’être face à un objet cinématographique diablement peu commun.

Avec ce premier long-métrage, Abel Ferrara, offre une œuvre passionnante à décrypter, à défaut d’être marquante. Il semble se mettre en scène dans sa lutte contre New-York ainsi que la folie qu’elle contient, comme s’il soulignait le danger d’être un artiste dans une telle mégalopole. Si la mise en scène semble par instant brouillonne et amateur, elle semble tout autant préfigurer, lors de certains plans, les futures thématiques fétiches du cinéaste avec notamment L’Ange de la vengeance (1981). La plupart d’entre elles, comme le détournement de la figure religieuse, s’y retrouvent également. Finalement, Driller Killer reste une bonne entrée dans la filmographie du réalisateur, même si paradoxalement, elle reste réservée aux cinéphiles avertis amateurs de bobines décomplexées et totalement bis.

Vladimir Delmotte

Dit "Le Comte", Vladimir est passionné de cinéma depuis qu'il est tombé sur une rediffusion CANAL+ en crypté de "Gorge Profonde". Il n'a de cesse depuis lors de hurler sur des publics de cinéclub, voire sur de simples passants dans la rue pour expliquer à quel point les images en mouvement, c'est trop génial.

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