Cannibal Holocaust, célèbre film de cannibale à la réputation plus que sulfureuse qui, aujourd’hui encore, jouit d’une réputation de film à scandale lui collant à la peau, n’est pas un film sorti de nulle part. Bien que jusqu’au-boutiste dans son traitement, il n’est en réalité que l’héritier d’un certain cinéma documentaire, principalement italien. Explication.

 

Les films de cannibales interviennent alors que les Mondo Movies arrivent en bout de courses début des années 1970, mais en s’inspirant cependant de leurs codes. Ils vont également puiser une part de leur matrice dans les travaux du couple Osa/Martin Johnson . Les sources d’influences sont donc multiples et s’étendent d’un bout à l’autre de l’Histoire du Cinéma.

La naissance de ce sous-genre possède également des résonances extra-cinématographiques, le contexte historique de l’époque va en effet tout autant participer à son émergence.  Le rapport à l’écologie se fait très présent durant les années 1960, notamment due à une prise de conscience générale. On retrouve des mouvances comme la culture hippie qui basera une partie de son discours sur un retour à la nature. L’arrivée des seventies se veut comme une désillusion, un effondrement idéologique de grande ampleur. Certains cinéastes seront des vecteurs symptomatiques pour comprendre ces revirements de pensée comme Pier Paolo Pasolini et son controversé Salo ou les 120 journées de Sodome qui ira totalement à l’opposé idéologique de l’optimisme engagé de sa trilogie de la vie.

C’est en 1972 que sortira la première œuvre pouvant être clairement identifiée comme un film de cannibales : Cannibalis : au pays de l’exorcisme, réalisé par Umberto Lenzi, cinéaste référence du cinéma bis horrifique et du giallo italien des années 70-80. Le long-métrage décrit l’arrivée d’un photographe anglais, capturé par une tribu indigène, dans la jungle thaïlandaise. Celui-ci subira divers rituels, bien qu’aucun exorcisme ne soit en vue malgré le titre. Il finira par se lier à l’une des jeunes femmes du groupe tout en s’intégrant finalement au clan et en s’accommodant à ce mode de vie rudimentaire. Déjà ici, les principaux codes sont identifiables : L’Homme blanc, généralement colonisateur ou journaliste, effectuant une transgression vers une nature sauvage dans laquelle il n’a pas sa place. Il y perd ses repères, ses principes fondamentaux sont bafoués et nous retrouvons des séquences de violence animale explicites. L’Homme civilisé tel que nous le connaissons est ici déjà remis en cause dans son retour à la nature, sa mentalité nous est présentée comme le véritable vecteur de violence. En revanche, quasiment aucune effluves de sang ni de scène d’anthropophagies extrêmes. Le film peut presque être vu comme un Mondo Cane transposé sous la forme d’un long-métrage de fiction, ce qui implique déjà une véritable évolution du genre. Nous retrouvons en effet un photographe allant capturer des images d’une culture éloignée dans une logique documentaire. Il est à noter que Cannibalis : au pays de l’exorcisme sortira en France sous le titre Mondo Cannibale, instaurant de fait le parallèle avec le cinéma de Gualtiero Jacopetti et Franco Prosperi.

Nous retrouvons également une grande influence du cinéma érotique, bien que cela se confirme surtout dans les bien plus explicites La Montagne du Dieu Cannibale de Sergio Martino et Emmanuelle et les derniers cannibales de Joe D’amato (sorti d’ailleurs dans certains cinémas pornos sous le titre subtil de Viol sous les tropiques afin d’exprimer clairement son contenu…). Les scénarios sont sensiblement les mêmes que dans Cannibalis… si ce n’est que le gore et les scènes d’anthropophagies se font nettement plus présentes. L’imagerie cannibale correspond beaucoup plus à l’idée reçue que le public garde à l’esprit aujourd’hui. Dans ces films, les explorateurs de la jungle sont accompagnés d’une ou plusieurs femmes dans leur équipe qui finiront chacune comme figure presque divine pour la tribu, mais également comme un objet de fantasme à ne pas approcher sous peine d’être massacré. Les très longues scènes de sexes sont généralement légions sans pour autant avoir une quelconque importance scénaristique. La tension sexuelle est un élément que l’on retrouvera régulièrement dans le genre sous différentes formes par la suite.

Vient ensuite une œuvre d’une importance capitale dans les films d’anthropophagies : Le Dernier Monde Cannibale (1977). Il s’agit probablement de l’une des œuvres la plus synthétique du genre. Il était à l’origine question d’offrir une suite à Cannibalis… avec la même équipe, mais Umberto Lenzi refusera finalement d’y participer pour une raison de cachet. Le projet atterri alors entre les mains du cinéaste Ruggero Deodato. Ce dernier est souvent considéré par le grand public comme le réalisateur d’un seul film, Cannibal Holocaust, alors qu’il s’agissait déjà à l’époque d’un metteur en scène important avec plusieurs succès à son actif. Il avait, entre autre, été assistant réalisateur pour nul autre que Roberto Rosselini et Sergio Corbucci. Deodato va faire de ce nouveau projet non pas une suite à Cannibalis…,  mais une oeuvre originale entièrement conçue selon sa vision.

Dans Le Dernier Monde Cannibale, le propos se veut radicalement différent du film de Lenzi, le retour à la nature est traité différemment, nous sommes d’avantage dans une confrontation directe entre l’Homme blanc et la tribu anthropophage, une forme de combat à mort pour la survie. L’animalité domine le métrage, le bien et le mal sont clairement définis. Le cinéaste pousse le réalisme du film dans ses derniers retranchements en filmant d’authentiques mises à mort d’animaux (dont une séquence assez connue mettant en scène l’éventration d’un crocodile). La promotion s’est énormément arquée sur le fait de promouvoir le produit final comme une sorte de documentaire dont les images violentes et les actes de cannibalismes étaient réels. Nous retrouvons encore une fois un héritage des Mondo Movies jusque dans sa manière de se vendre. Le DVD francophone du Dernier Monde Cannibale présente sur sa couverture la phrase d’accroche : « Le Premier Film-Réalité de Ruggero Deodato », ce terme n’est évidemment pas anodin. Le métrage créera déjà polémique à sa sortie, mais ce n’est finalement rien comparativement à ce qui va suivre à peine quelques années plus tard…


 

Vladimir Delmotte

Dit "Le Comte", Vladimir est passionné de cinéma depuis qu'il est tombé sur une rediffusion CANAL+ en crypté de "Gorge Profonde". Il n'a de cesse depuis lors de hurler sur des publics de cinéclub, voire sur de simples passants dans la rue pour expliquer à quel point les images en mouvement, c'est trop génial.

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