Parmi les multiples évolutions du cinéma de genre fantastique, peu auront eu un impact visuel et imaginaire aussi important que celui de la science-fiction des années 50. Très identifiable à ses figures de monstres insectoïdes géants, d’aliens et d’aberrations robotiques, il s’agit encore aujourd’hui de l’un des pans les plus emblématiques de l’histoire du média.

Au-delà d’une iconographie marquée et immédiatement identifiable – difficile de ne pas avoir en tête ces nombreuses affiches présentant une créature mutante/extra-terrestre agrippant une femme peu vêtue et inconsciente dans ses bras – il est impossible de séparer l’émergence du cinéma de science-fiction des fifties de son contexte historique. La volonté de conquête spatiale va cultiver cet affleurement cinématographique à l’approche des années 60 ainsi que les multiples témoignages d’ovnis. Cette période se caractérise principalement par un acide climat de tension et de paranoïa dû à la guerre froide. Les tensions entres les blocs américains et soviétiques vont mener à l’équilibre de la terreur : la peur du nucléaire et du progrès scientifique. Dotée d’une puissance dévastatrice sans précédent, l’arme atomique devient la menace absolue dans l’imaginaire collectif.

Aux Etats-Unis, la science-fiction devient dès lors le nouveau moyen d’expression cinématographique de toutes ces peurs, donnant paradoxalement naissance à l’âge d’or du genre. Différents monstres de toutes sortes vont faire leur apparition sur grand écran durant toute la décennie. Qu’il s’agisse d’anomalies biologiques ou de créatures arachnéennes géantes, tout le répertoire des nuisibles du quotidien va être métamorphosé par l’avancée technologique. Certains long-métrage, comme l’emblématique Tarantula (1955) de Jack Arnold, cinéaste fondamental dans le genre, va proposer la vision d’une araignée devenue gigantesque suite à des manipulations chimiques équivoques. Qu’il s’agisse d’un scorpion (Le Scorpion Noir – 1956), d’un lézard (Le Monstre des temps perdus – 1953), d’une mante-religieuse (La chose surgit des ténèbres -1957) ou d’une colonie de fourmis (Des monstres attaquent la ville – 1954), ces insectes aux dimensions titanesques vont traiter tout autant de la peur de l’inconnu que de la critique des avancées scientifiques. Tarantula reste l’une des principales synthèses du genre et développe un discours sur les manipulations génétiques résolument moderne pour son temps, tout en apportant une conscience sur les inquiétudes croissantes de l’époque.

Le regard apportés par certains de ces métrages se veut résolument anti-communiste et adopte donc un point de vue très américain. Rapidement, la figure de l’extraterrestre devient une matérialisation symbolique de ce climat d’angoisse. Nous pourrions évoquer L’invasion des profanateurs de sépultures (1956) de Don Siegel qui, au travers de sa trame scénaristique, nous permet de suivre une invasion d’extra-terrestres prenant l’apparence d’êtres humains, se fondant ainsi dans la masse. Ceux-ci colonisent alors une petite communauté américaine typique, et volent le visage de ses habitants afin d’en prendre le total contrôle, les rares qui oseront s’opposer seront soit tués, soit serviront de cocon aux extraterrestres. Le parallèle avec le Maccarthysme, cette fameuse « chasse aux sorcières » durant laquelle la peur du communisme atteignait son paroxysme, peut aisément être fait au vu de ce que propose le film de Siegel. La menace vient de l’espace et parasite notre société, on retrouve également cette notion de climat de paranoïa propre à la guerre froide.

Si nous devions fournir la synthèse la plus représentative de la science-fiction des fifties au cinéma, il semble essentiel de s’attarder sur deux long-métrages ayant parfaitement compris leur époque : Le Jour ou la Terre s’arrêta (1951) de Robert Wise et Planète Interdite (1956) de Fred McLeod Wilcox.
Dans le premier, une soucoupe volante occupée par un extra-terrestre, Klaatu, et un robot, atterri à Washington. Leur arrivée va provoquer une tension sans précédent dans la civilisation humaine et une communication sera rapidement engagée sous haute friction. L’alien possède une apparence humaine et se veut délivreur d’un message de paix, pourtant l’homme réagira avec hostilité, préférant sombrer dans un débordement de violence. Klaatu sera capturé et dévoilera que plusieurs civilisations lointaines dans l’univers sont inquiètes des progressions de l’humanité en termes d’armement, craignant pour leur propre sécurité. Si la Terre ne fait pas preuve de pacifisme, son robot détruira la planète. Les différents dirigeants impliqués dans ces discussions ne parviennent pas à trouver un accord concernant cette situation inédite, créant de fait un état de division et de terreur. Une course contre la montre sera donc engagée afin de sauver l’humanité de l’annihilation totale. Le long-métrage de Robert Wise offre un commentaire alarmiste radicalement évolué et empli d’une réelle conscience sur son époque. L’homme est défini comme incapable de communiquer dans la paix, le film se veut dénonciateur du climat imposé par la guerre froide. Il désigne et anticipe également la vacuité et la dangerosité des avancées scientifiques dans le domaine de l’armement, notamment nucléaire. Nous sommes ici dépeint comme incapable de communiquer autrement que par le conflit, au point d’en inquiéter la galaxie toute entière.

Dans le cas du film de Wilcox, un vaisseau spatial se rend sur la planète Altaïr IV afin d’y retrouver les membres d’une précédente expédition disparus depuis une vingtaine d’année. Les seuls survivants seront une jeune fille et son père, le professeur Morbius. Ils sont également accompagnés par un robot surnommé « Robby », une machine à la technologie prodigieuse construite par le scientifique qui véhicule à elle toute seule toute l’iconographie du cinéma de science-fiction des années 50. L’équipage du vaisseau va rapidement se retrouver confronté à une dangereuse créature invisible, résultante d’une matérialisation de l’esprit humain. A nouveau l’homme se retrouve au centre du conflit et du propos du film. Le propos se veut à nouveau résolument pessimiste, les humains sont perçus ici comme naturellement mauvais, comme si leur inconscient comportait inévitablement une prédisposition à faire le mal.

A travers ces 2 œuvres, c’est tout un courant cinématographique, très prégnant à l’époque, qui s’incarne, et s’il a pu donner naissance à pas mal de films plus mineurs, il n’en reste pas moins un courant largement présent dans les salles de l’époque, et surtout conscient et représentatif de son époque malgré certains positionnements parfois naïfs. Certes, les créatures extra-terrestres ou mutantes présentées dans ces récits sont annoncées généralement comme les antagonistes des films, mais elles ne sont pourtant que le fruit des actions de l’homme. Ces monstres ne servent finalement qu’à tendre un miroir sur notre propre folie. Il s’agit en réalité bel et bien d’un cinéma d’anticipation, voire presque d’un cinéma prophétique, qui nous est offert par la science-fiction durant les années 50. Il est ici finalement question d’un retour aux origines du genre, la dénonciation de l’excès et de l’absurdité scientifique. Certains cinéastes contemporains, comme Guillermo Del Toro, auront énormément été influencés par ces œuvres et permettront de les remettre au goût du jour sous forme d’hommages ou de remakes cachés. Difficile également de ne pas citer Joe Dante qui, avec son film Panic sur Florida Beach (1993), a réussi à résumer à lui seul toute la symbolique des années 50 en termes de tension et de cinéma de science-fiction.

L’édition 2023 (la dixième !) du festival Offscreen Liège centre cette année l’une de ses thématiques autour des robots au cinéma. Difficile dès lors de laisser de côté ces 2 œuvres cultes que sont Le jour ou la Terre s’arrêta ainsi que Planète Interdite. Rendez-vous donc le 11 avril 2023 au ciné-club Nickelodéon pour une soirée spéciale autour du cinéma de science-fiction des années 50 au travers des 2 plus grandes figures robotiques que ce cinéma nous aura offert…

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Vladimir Delmotte

Dit "Le Comte", Vladimir est passionné de cinéma depuis qu'il est tombé sur une rediffusion CANAL+ en crypté de "Gorge Profonde". Il n'a de cesse depuis lors de hurler sur des publics de cinéclub, voire sur de simples passants dans la rue pour expliquer à quel point les images en mouvement, c'est trop génial.

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