Ce livre n’est pas un tableau du présent.
Ce livre n’est pas un tableau de l’avenir.
Ce livre ne se passe nulle part.
Ce livre ne sert aucune tendance, aucune classe, aucun parti.
Ce livre est un drame qui tourne autour d’une seule et même expérience :
Le médiateur entre le cerveau et les mains, ce doit être le cœur.

Ainsi débute le livre de Théa Von Harbou, qui en 1925, terminait d’écrire son roman d’anticipation dystopique Metropolis. Son introduction deviendra emblématique, et la dernière ligne de celle-ci accompagnera les adaptations qui lui succéderont.

Metropolis divise l’humanité en deux castes : L’élite qui vit au sommet de gigantesques gratte-ciels et les ouvriers qui s’entassent dans la ville souterraine. C’est sous ce régime menaçant que nous suivons l’histoire de Freder, fils du maître de Métropolis, qui tombe sous le charme de la belle Maria, une femme de la ville basse aux valeurs humanitaires. Il est pris d’un coup de foudre et décide de la suivre dans sa préparation de la révolte ouvrière, malgré les mesures drastiques de son père, qui cherche quant à lui à créer un androïde déshumanisé.

Deux ans plus tard, Fritz Lang, à l’époque mari de Théa, emmène l’œuvre de sa femme dans les salles de cinéma. A sa sortie, le film est un échec critique et commercial. La version originale de 153 minutes est très vite raccourcie, en l’amputant de nombreux passages, en modifiant le nom des personnages et allant même jusqu’à réécrire certains cartons de dialogue. Il y aura quatres versions de montages différentes, pour se conformer aux exigences de la censure nazie et mieux correspondre aux standards commerciaux de l’époque, mais il sera finalement remonté en 2001, cette fois-ci en essayant d’être le plus fidèle possible à l’ouvrage original.

L’œuvre nous dépeint des valeurs intemporelles, qui dépassent tous messages politiques, ainsi que l’aspect muet et noir et blanc que nous impose l’époque. Elle parle de l’amour aveuglant qui frappe un homme tombant amoureux d’une femme, la fascination qui en résulte, mais aussi de l’amour étouffant que l’on porte lors du deuil de l’être aimé. On s’attache indéniablement au personnage de Freder qui nous semble bien souvent perdu face à la rigidité du monde qui l’entoure, mais on ne peut s’empêcher de relever sa bonté et le courage dont il fait preuve pour garder l’espoir d’une accalmie. La relation entre le jeune homme et son père est remplie d’essais de communication ratés, de complexité et de non-dits qui nous titillent tout au long du visionnage. Lorsqu’on ajoute à tout cela l’ingéniosité maléfique de Rotwang – inventeur en soif d’affection – la dévotion des compagnons de révolte ainsi que l’épuisement que nous pouvons lire sur les visages des ouvriers, c’est un bien beau tableau expressif que nous offre Fritz Lang.

Et c’est certainement pour cela que Metropolis laisse des traces indélébiles dans les esprits. L’œuvre continue de vivre à travers les mains d’autres grands artistes, qui n’hésitent pas à s’approprier cet univers et y ajouter leur propre vision. C’est le cas d’Osamu Tesuka – personnage emblématique du monde du manga, notamment connu pour Astro Boy – qui en 1949 découvrit une image du film :

A cette époque, je n’avais pas visionné le film et je n’en connaissais pas le scénario. J’avais simplement vu, durant la guerre, une capture d’écran dans un magazine consacré au cinéma, probablement Kinema Junpô. Il s’agissait de la scène de la naissance du robot. Je me souvenais de cette photo et c’est de là que m’est venue l’idée.

Bien qu’Osamu Tesuka nie totalement toute ressemblance avec le film si ce n’est son titre, son livre sera lui aussi amené au cinéma, grâce à Rintaro qui en fera en 2001 un film d’animation.

On y suit les périples de Kenichi qui enquête sur un trafic d’organes humains à l’aide de son oncle, le détective Shunsaku Ban. Il fait la rencontre du docteur Laughton (qui a un rôle similaire à celui de Rotwang), un scientifique fou qui créa Tima, robot gynoïde destinée à régner sur Metropolis.

L’animé possède beaucoup de similitudes avec le film allemand. Il nous parle également du deuil déchirant d’un père, de l’éblouissement qu’un jeune homme peut ressentir pour une femme, et évidemment de ce désastre que provoque l’avidité, la soif de pouvoir. L’exploitation ouvrière y est tout aussi rude et pesante, et la peur du progrès prend la forme d’une discrimination divisant les robots des autres habitants de Métropolis. On peut y reconnaître certains attraits esthétiques de Fritz Lang, car même si les artistes n’ont pas le même présent, leurs images du futur semblent s’accorder aux creux de leurs paysages.

Rintaro nous apporte néanmoins une fraîcheur nouvelle ; la naïveté et l’innocence des enfants, accordée à une palette de couleurs vives et frappantes.

La richesse de ses personnages est envoutante ; Kenichi nous touche grâce son air enjoué d’enfant solaire, et la curiosité avec laquelle il découvre le monde autour de lui, et puis avec la sensibilité inouïe dont il fait preuve lorsqu’il rencontre Tima, dont l’aura éblouissante nous rappelle la première apparition de Maria dans le film de 1927. Aura qui appelle à l’innocence, la pureté, traits que nous retrouverons chez la dévouée et fragile robote.

Ces quatre œuvres nous prouvent l’importance de la singularité créative, mais aussi paradoxalement que cela puisse être, celle de l’universalité des sentiments humains. Malgré les années de distance entre toutes les adaptations de l’univers de Metropolis, le doute est écarté ; ce qui importe, c’est bien le fond et non la forme.

Venez à la rencontre de Tima et de ses questions existentielles à travers le film de Rintaro le mardi 4 avril à 20h au Ciné Club Nickelodéon, pour ensuite retourner aux sources de ce monument cinématographique lors de la projection du film de Fritz Lang, le jeudi 20 avril à 19h30 dans les locaux de Réjouisciences.

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Colombe D'Haene

Avec un prénom pareil, vous vous doutez bien qu'elle n'a pas besoin de surnom. Véritable couteau suisse artistique, elle est née un pinceau à la main, a grandit en écrivant ses pensées dans ses petits carnets et aujourd'hui, elle passe son temps à filmer le monde autour d'elle.