La science-fiction, et plus précisément le récit d’anticipation, est un genre parcouru de figures et représentations précises, souvent incontournables, constituant un imaginaire commun. De nombreuses œuvres, littéraires, cinématographiques et vidéoludiques se revendiquent de ce sous-genre, mais certaines surnagent et font office de références évidentes lorsqu’on aborde ce courant. Blade Runner est de celles-ci.
Film emblématique de la Science-Fiction et adaptation du livre les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? de Phillip K. Dick, il met en scène le personnage de Rick Deckard, sorte de détective privé futuriste appelé Blade Runner, chargé de traquer et détruire des androïdes rebelles, des « réplicants », en tout point semblables aux êtres humains et considérés comme persona non grata sur Terre, alors que la frange la plus aisée de l’humanité a quitté la planète bleue pour coloniser d’autres planètes aux confins du système solaire.
La genèse de Blade Runner et la vie du film, tant pour sa pré-production que pour son exploitation, a tout du parcours du combattant. Le livre de K. Dick est publié dès 1968 et, très vite, son roman va être « optionné » par le producteur Herb Jaffe en vue d’une éventuelle adaptation. Après une première version de scénario écrite par le fils du producteur (et qui ne plait pas du tout à Phillip K. Dick), le projet retombe en sommeil. C’est en 1977 que l’acteur Hampton Fencher récupère les droits du roman et produit une première version de scénario intitulé Dangerous Days, il s’associe alors au producteur Michael Deeley et à Ridley Scott, tous 2 britanniques, ainsi qu’au scénariste américain David Webbs People pour un renfort au scénario. Une assez longue période de réécriture se met alors en place avant que la production ne se lance. Les idées visuelles très ambitieuses de Ridley Scott vont en effet amener les scénaristes a totalement repenser un scénario initial principalement pensé comme un film d’intérieur très verbeux. L’envie de Ridley Scott est notamment de présenter, non pas l’environnement austère et désertique du roman, mais une mégalopole pluvieuse et surpeuplée, grouillante de vie, où le soleil ne brille presque jamais, mais aussi saturée de messages publicitaires (peut-être un vieux réflexe issus de son passé de réalisateur de publicités !). Il s’inspire notamment de travaux de Moebius pour la revue Metal Hurlant (il lui demandera d’ailleurs d’intégrer la production mais celui-ci refusera, déjà pris par le film d’animation Les Maîtres du Temps). Il est intéressant de noter que le réalisateur n’a jamais pris connaissance du contenu du roman avant de débuter le tournage, raison pour laquelle l’univers du film semble détonner avec celui du livre, présenté plutôt comme dépeuplé, la population ayant (comme signalé dans le film) massivement émigrée en dehors du système solaire.
Il s’entourera également d’acteurs confirmés et bankables. D’une part, Harrison Ford est appelé pour incarner le personnage principal. L’acteur vient à peine d’être auréolé du succès des 2 premiers Star Wars mais il n’est pas encore l’acteur prisé qu’il deviendra par la suite. Il n’est d’ailleurs pas envisagé d’emblée : Dustin Hoffman est pendant tout un temps attaché au projet, avant de quitter la production pour divergence artistique. Nick Nolte, Al Pacino et Peter Falk sont également envisagés. C’est finalement sur les conseils de Steven Spielberg, qui vient de terminer le tournage d’Indiana Jones avec l’acteur et qui sent qu’Hollywood tient là sa prochaine superstar, que le choix se porte sur Harrison Ford. D’autre part, Ridley Scott lorgne sur le cinéma européen en choisissant de caster Rutger Hauer, l’acteur fétiche de Paul Verhoeven, qu’il a découvert et adoré dans Turkish Delice, pour incarner Roy Batty, le leader des réplicants renégats et principal antagoniste.
Le tournage ne se fait pas sans encombre. Ridley Scott étant connu pour tourner énormément de prises sur chaque scène, la production prend du retard et certains plans ne pourront d’ailleurs pas être mis en boite, notamment une scène importante révélant ce qui se trouve au sommet de la pyramide de la Tyrell Corporation, la société à l’origine des androïdes. De plus, certaines projections test ont un retour désastreux, ce qui va amener un nouveau montage et un « happy end » forcé qui évacuera toute ambiguïté quant à la nature réelle du personnage principal. Il faudra attendre les décennies qui suivront avant de se rapprocher, au gré des versions (8 en tout !), de celle la plus en adéquation avec la vision d’origine du réalisateur.
Celle-ci se centre en effet sur une réflexion profonde sur la nature philosophique de l’être humain, d’une part installée par la nature incertaine de Rick Deckard, d’autre part par la façon dont Blade Runner amène (tout en nuance via notamment le monologue final de Rutger Hauer, devenu iconique) l’idée que ce sont finalement les réplicants qui sont capables de déceler et apprécier une certaine beauté poétique via leur (courte) expérience de vie. Une caractéristique qui les met souvent en opposition avec les personnages humains, volontiers présentés comme procéduriers ou insensibles.
L’autre attrait fondamental de Blade Runner tient dans sa nature de film d’anticipation, dont les représentants ont souvent une réputation de désuétude dus à des prédictions technologiques régulièrement à côté de la plaque. Les éléments futuristes de Blade Runner ont toutefois tendance à faire mouche, déjà via des effets spéciaux qui résistent admirablement à l’épreuve du temps, notamment grâce au travail du Concept Artist Syd Mead, mais également dans ses représentations thématiques sur la mondialisation, la surpopulation et surtout la disparition du monde vivant. Le film vise tellement juste sur ces sujets, désormais indissociables de la SF d’anticipation et en gestation dans l’imaginaire collectif de l’époque, qu’il va poser quelques bases du mouvement Cyberpunk, qui ne naitra pourtant officiellement que 2 ans plus tard avec l’œuvre matricielle du genre, Neuromancien, de William Gibson.
L’impact du film est retentissant à sa sortie. Bien qu’il ait eu un succès, critique et public, plutôt mitigé, Blade Runner marque au fer rouge l’imaginaire de la Science-Fiction et laisse une trace indélébile sur de nombreux créateurs en devenir. On ne compte plus les réalisateurs de tous horizons à rendre hommage au film de Ridley Scott et ses héritiers sont aujourd’hui nombreux. On y trouve des influences notamment dans le mouvement Cyberpunk (mouvement littéraire, mais aussi cinématographique), qui deviendra d’ailleurs presque indissociable de ce décor de mégalopole tentaculaire, tout en verticalité, où la frontière entre organique et synthétique se floute à tous niveaux. Le jeu vidéo ne sera pas en reste. En dehors d’œuvres promptes à la citation esthétique (Deus Ex ou le plus récent CloudPunk), le film connaitra 2 adaptations directes, l’une en 1985, l’autre en 1997.
Bref, les avatars et successeurs du chef-d’œuvre de Ridley Scott sont là, jusque dans cette volonté qu’a eu le réalisateur d’offrir une suite directe au public en 2017, réalisée par Denis Villeneuve. Un film qui répond malheureusement de façon très prosaïque a ce qui faisait toute la saveur du film de 1982, à savoir sa fin ouverte.
Une projection de ce film culte marquera le coup d’envoi de la 10ème édition de la délocalisation liégeoise d’Offscreen Liège le mardi 28 mars 2023 au centre culturel d’Ans, l’occasion de (re)découvrir ce pilier du cinéma de SF dans sa version Final Cut, en 4K qui plus est !
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Vincent Tozzini
Aussi nommé "Vinouze Stallone" pour ses gros biscotos, Vincent est responsable de la section Forbidden Zone du site. Il est également dans l'organisation du festival Offscreen Liège et est le (co)créateur du podcast "Popcorn Club" avec Caroline Poisson. C'est populaire, c'est nostalgique, c'est bon et ça croustille ! Contactez-le ! Plus de publications