Cannibal Holocaust, célèbre film de cannibale à la réputation plus que sulfureuse qui, aujourd’hui encore, jouit d’une réputation de film à scandale lui collant à la peau, n’est pas un film sorti de nulle part. Bien que jusqu’au-boutiste dans son traitement, il n’est en réalité que l’héritier d’un certain cinéma documentaire, principalement italien. Explication.

Le développement de la technique cinématographique au début du 20ème siècle révolutionne notre rapport à l’image, si certains perçurent dans cette technologie une extension de la prestidigitation, d’autres y virent un moyen de diffuser des images, sans fard, dans une logique se voulant déjà quelque peu voyeuriste. Ainsi, dès 1901, Thomas Edison aura filmé une mise à mort par chaise électrique supposée véritable d’un condamné avec Execution of Czolgosz with Panorama of Auburn Prison.

Par la suite, de nombreux documentaires animaliers, souvent filmé dans un décor tropical, arrivent en salles à partir des années 1910, la plupart réalisés par le couple Osa et Martin Johnson. Ces « films safaris » exhibait déjà divers animaux exotiques dans leur environnement naturel, ainsi que leur mort face caméra, que ce trépas soit la cause d’autres animaux ou de la main de l’Homme lui-même. Progressivement se dessinera ensuite l’apparition d’autres documentaires s’attardant sur des indigènes locaux, parfois adeptes de l’anthropophagie (Gow the Killer – 1931). La démarche se veut généralement très coloniale et va régulièrement dévoiler diverses pratiques et rituels de tribus considérées alors comme primitives. Énormément de films du genre se verront produit par la suite, souvent sous un format de court-métrage d’actualité. Ils ne coûtaient en effet pas cher à produire et s’avéraient être une promesse quasi assurée de faire sensation.

En 1962 le duo italien Gualtiero Jacopetti et Franco Prosperi va donner naissance à une œuvre, certes fondamentale pour ce genre, mais peu connue du grand public, qui mènera à de nombreuses suites et dérivés : Mondo Cane. Fusion ultime des documentaires animaliers et du film sexy italien des années 1950, un sous-genre résolument tourné vers l’érotisme (Nuit d’Europe notamment, sur lequel Jacopetti travaillera d’ailleurs), il s’agira là aussi d’un documentaire capturant des images de cultures et rites divers destinés principalement à un regard européen.

Le projet Mondo Cane va se développer avec l’idée de mettre en scène un documentaire ne se voulant plus comme un simple produit court et informatif, mais plutôt un long-métrage événementiel et sensationnel. Cette envie des réalisateurs d’offrir du jamais vu pour le public occidental va les mener à répertorier les rituels les plus singuliers et extrêmes à travers le monde. Les deux cinéastes vont alors faire le tour du globe avec leur équipe afin d’aller vérifier par eux-mêmes certaines rumeurs rapportées. Mondo Cane tente d’adopter un regard très neutre sur certains fonctionnements sociétaux, alors probablement largement inconnus du grand public, mais va dans un même temps paradoxalement chercher à choquer et à offrir des images les plus extrêmes possibles. Les réalisateurs s’intéresseront à l’Homme en premier lieu, de sa vie en communauté et de son utilisation de la nature à travers différentes cultures singulières. Le film sera taxé de voyeuriste à sa sortie, et fera scandale, qualifié d’acte filmique barbare par certains. La principale source de reproche pour les réalisateurs sera évidemment les violences animales (comme pour Cannibal Holocaust d’ailleurs, mais nous y reviendrons dans un prochain article), si bien que l’on parlera même de « snuff movie animaliers » dans certains cas. En effet, Si l’esprit humain lambda peut à priori concevoir l’idée que certaines coutumes pratiquent le sacrifice d’animaux, il est en revanche beaucoup plus difficile de l’accepter une fois que l’acte de mise à mort est mis en image de façon authentique.

Un plan de Mondo Cane posera particulièrement question : une tortue agonisante sur le sable d’une plage à cause de la chaleur du soleil, l’animal n’arrivant pas à rejoindre l’eau de la mer. Beaucoup de spectateurs protesteront en questionnant l’attitude de l’équipe de tournage, filmant calmement l’agonie de l’animal sans chercher à le remettre à l’eau. Il semble évidemment assez légitime de se poser la question, surtout pour une séquence qui n’a aucun rapport avec l’Homme ou l’un de ses rituels. Il n’est évidemment pas question ici de légitimer la violence animale, d’autant plus que Mondo Cane et Cannibal Holocaust sont très loin d’être les seuls films à impliquer violence et mort d’animaux dans le cadre d’un tournage, mais plutôt de pointer du doigt les particularités et spécificités de ce sous-genre qui consistera principalement à une recherche de « réalisme extrême », de violence et de sensationnalisme documentaire, d’ailleurs parfois paradoxale car légèrement mis en scène, comme cet exemple tend à le démontrer.

Le film deviendra rapidement le porte étendard d’un sous-genre appelé « shockumentaire » ou « Mondo Movie ». Il s’agit donc de documentaires d’exploitation dévoilant des images violentes et dépaysantes pour le public. Les sujets traités peuvent êtres variés, mais l’on restera principalement dans les thèmes choc universels : le sexe et la violence (humaine ou animal). La caractéristique principale du genre étant en effet l’exploitation et la recherche d’un voyeurisme un peu morbide.

Jacopetti et Prosperi continueront leur carrière dans le genre jusque dans les années 1970 avec plus ou moins de succès. Nous retrouverons par la suite plusieurs suites à Mondo Cane, le genre aura néanmoins une influence considérable sur un certain pan de la production italienne…

(Suite à paraitre prochainement)

Vladimir Delmotte

Dit "Le Comte", Vladimir est passionné de cinéma depuis qu'il est tombé sur une rediffusion CANAL+ en crypté de "Gorge Profonde". Il n'a de cesse depuis lors de hurler sur des publics de cinéclub, voire sur de simples passants dans la rue pour expliquer à quel point les images en mouvement, c'est trop génial.

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