Le BIFFF a toujours eu pour volonté de faire découvrir de nouveaux talents du cinéma de genre officiant sur le territoire belge. Le samedi 14 avril 2024 fut donc l’occasion de la traditionnelle « belgian short film competition » au cours de laquelle le public, venu en nombre, aura découvert 10 courts-métrages variés aux influences et techniques multiples. La séance fut suivie par la remise de plusieurs prix.
Les yeux d’Olga de Sarah Carlot Jaber :
Gagnant du prix Jeunesse, le film nous propose de suivre Olga, une vampire octogénaire, placée en maison de repos. Elle va subir cette nouvelle situation tout en essayant de la tourner à son avantage en tentant de se nourrir du sang des autres résidents. Le court-métrage va se dérouler dans un noir et blanc très stylisé et va rappeler par instant les productions horrifiques de la Hammer dans l’iconographie de son personnage principal. Au-delà de la thématique du vampirisme, Les Yeux d’Olga semble essentiellement porté par la volonté de mettre en lumière les conditions de vie des personnes âgées en milieu hospitalier tout en s’attardant particulièrement sur le statut féminin. Nous pourrions parler d’une comédie dramatique jouant des clichés sur les vampires, et passant de la comédie au drame. Vivianne De Muynck y interprète parfaitement le personnage d’Olga, en faisant un être drôle, violent et touchant dans son développement. Un film singulier et sensible sur la vieillesse où finalement le vampire n’est qu’un prétexte pour parler d’humanité.Birdcage de Karel Konings :
Birdcage se déroule dans les fifties au sein d’un hôpital tentant de soigner des enfants atteint de mutation leur conférant des pouvoirs destructeurs. Le lieu est rapidement présenté comme une prison ne tentant pas tant d’apporter un remède à ses pensionnaires, mais plutôt un endormissement total de leurs sens. Il nous est fait comprendre que si ces très jeunes pensionnaires ne réagissent pas correctement à leur traitement, leur destin sera des plus funestes. Pouvant faire penser par certains aspects à une version alternative du récent Le Règne Animal de Thomas Cailley, Birdcage se démarque cependant par son contexte et son travail de mise en scène. Nous attrapons l’univers et le contexte du film alors qu’il semble déjà en plein développement, mais il donne juste ce qu’il faut en termes d’informations pour que le spectateur comprenne tout ce qui est en jeu à l’écran malgré le contexte d’huis-clos. Le film de Karel Konings semble se suffire à lui-même et entend appeler à imaginer quelque-chose de plus grand dans tout ce qu’il présente dans un pourtant quasi huis-clos. Il a remporté le prix BeTV lors de la cérémonie faisant suite à la projection.Chambre 13 de Pierre Vandamme :
Pierre Vandamme nous propose avec son très court métrage de suivre une forme de sketch dans lequel un homme va passer la nuit dans un hôtel lugubre et dont la pièce voisine, la chambre 13, va être le théâtre d’événements inquiétants. Si l’on pourrait penser à première vue que le film va s’avérer effrayant, il s’agit en réalité plutôt d’une comédie horrifique jouissant d’un humour noir prononcé et d’influences des codes classiques du cinéma d’horreur. Chambre 13 marque surtout par son travail de montage totalement maîtrisé, cachant le faible budget de cette toute petite production et réussissant tous les effets désirés. Il possède la durée la plus faible de toute la sélection, mais parvient à toutes ses fins et (surtout) à s’arrêter quand il n’a plus rien à dire.Poppy’s Saturn de Nicole Tegelaar :
Une jeune chanteuse du nom de Poppy est confrontée à d’étranges apparitions, elle va décider d’aller voir une voyante loufoque afin de tenter de comprendre et exorciser ses démons. Le film de Nicole Tegelaar a remporté le grand prix et offre un travail esthétique d’envergure. Film étrange se permettant de plonger dans un psychédélisme total et assumé, Poppy’s Saturn embrasse très explicitement l’influence du cinéma de David Lynch et propose un univers aussi inquiétant que coloré. Difficile de démêler la frontière du voile entre la réalité et le fantasmagorique dans cette œuvre se voulant avant tout sensorielle. L’homme aux yeux noirs que la jeune fille aperçoit régulièrement est-il vraiment présent ? Le métrage semble traiter des cicatrices du passé, de la thématique du traumatisme, mais peut-être évoque-t-il aussi la peur du futur. Cet ensemble offre une expérience presque clipesque dans laquelle l’aspect sensitif du spectateur sera particulièrement concerné.L’Investissement de Frédéric Plasman :
L’Investissement est l’œuvre touchant le plus explicitement au genre de la science-fiction de toute la sélection. Le film présente une société dystopique semblant avoir entre autre énormément emprunté à 1984 de George Orwell. Il s’agit dans le cas présent d’une société où les êtres humains sont éliminés s’ils sont jugés inactifs et/ou dysfonctionnels par rapport au système en place. Il va être proposé au spectateur de suivre le fonctionnement d’un centre d’élimination, sorte d’abattoir futuriste, au travers des yeux d’une jeune femme. Les méthodes de mises à morts utilisées seront le basculement de l’humanité vers l’animalité. L’évolution du regard du personnage principal sur ces procédés sera l’un des points centraux du récit. Frédéric Plasman réalise avec L’investissement une forme de condensé de tous les grands axes de la science-fiction littéraire. Si le film peut se montrer très explicatif et descriptif de ses propres concepts lors de sa dernière partie au risque de perdre les spectateurs, il n’en reste pas moins une œuvre ambitieuse avec un travail de VFX impressionnant. Le cinéaste réussi à développer l’univers autour de ce centre d’élimination malgré un quasi huis-clos.Wasteland de Servaes Dewispelaere :
Probablement le film le plus étrange de la sélection, Wasteland peut se montre au premier abord très décontenançant. Une jeune femme entre dans le bureau où se tient un homme pour réaliser un « test » à l’aide d’un appareil étrange pouvant rappeler ceux des séances d’interrogatoires dans Blade Runner. Aucune clé de compréhension n’est donnée au spectateur, mais nous comprenons être dans une société futuriste relativement proche de la nôtre où l’humanité ne semble plus ressentir d’émotions. Le spectateur sera mené à suivre la vie de l’homme ayant réalisé le test en question, celui semble troublé et ne plus arriver à s’accommoder au monde qui l’entoure tout atteignant une forme de béatitude. Wasteland semble vouloir questionner la recherche du bonheur et cette volonté de vouloir se reconnecter à notre humanité en sortant des carcans technologiques aliénant. Animé d’une sauce SF classique, le film de Sevaes Dewispelaere ne demande pas forcément à être compris dans son entièreté et se veut assez sensoriel. Une œuvre singulière, rappelant parfois David Cronenberg dans sa seconde partie de carrière, pas forcément facile d’accès, mais qui laissera de nombreuses questions après son visionnage.Au Suivant de Jeanne Remi et Marco Bolla :
Tourné sans argent en une seule journée, Au Suivant est reparti avec le prix La Trois lors de la cérémonie suivant la séance. Il s’agit ici de suivre une jeune actrice voulant passer un casting pour un film auprès d’une réalisatrice. Cette dernière, semblant être la représentation d’une personnalité perverse narcissique, va pousser la jeune femme dans ses derniers retranchements, lui faisant peu à peu perdre la raison. Le film semble vouloir questionner et critiquer les méthodes de recrutement lors des castings ainsi que les procédés violents que l’on peut retrouver chez certains artisans du milieu. Les premières minutes laissent planer une sensation d’être face à une situation classique – voire clichée – mainte fois rapportée. C’est pourtant là qu’un basculement va s’opérer, menant la suite des événements dans un registre parfois plus comique, voir surréaliste, pour finalement presque faire glisser Au Suivant dans le registre du cinéma de genre. Un court-métrage dont il serait dommage, comme difficile, de divulguer la fin et dont la réussite réside dans sa manière d’exercer ses renversements de tonalités.Muscle Masqué dans: Ferraille Pagaille de Nicolas Gemoets :
Seul film d’animation de la sélection, Muscle Masqué dans : Ferraille Pagaille, offre aussi le métrage avec le plus d’action à l’écran. Il sera question de suivre un super-héros loufoque se retrouvant à devoir affronter un monstre mécanique titanesque pour sauver sa ville. Doté d’un humour prononcé et surtout d’un sens de la mise en scène proche des récents Into et Across The Spider-Verse, ce court-métrage permet de mettre en avant tout le talent du jeune réalisateur Nicolas Gemoets. La gestion de ses ressorts comiques, très slapstick par instant, ainsi que la variété des situations et la gestion de l’espace sont totalement maîtrisés. S’il fallait retenir le film pour un élément, cela serait probablement pour cette volonté quasi constante de ne se poser aucune limite dans ce qu’il est possible de faire en terme d’animation et/ou de mise en scène.L’enfant de Bekim Vanbosche :
L’enfant propose de suivre les périples d’une jeune femme enceinte alors que celle-ci rend visite durant la nuit à un homme pour l’aider à accoucher de ce que nous devinons être un nourrisson anormal. Très explicitement inspiré des écrits sur les Grands Anciens du célèbre écrivain H.P.Lovecraft, le film embrasse ses références et ne semble pas vouloir s’en cacher. Le résultat est plutôt classique, mais s’il est inscrit au sein de ses références il prend alors tout son sens. Se permettant même une séquence de rêve psychédélique servant à imposer l’imaginaire de l’écrivain auprès du spectateur, Bekim Vanbosche ravira les adorateurs de Cthulhu et autres Shoggoths. Un court voyage lovecraftien que n’auraient pas renié des cinéastes comme Stuart Gordon et Brian Yuzna.A la limite de Clotilde Colson :
Projeté en clôture de séance, A la limite de Clotilde Colson raconte l’errance de Jeanne, une jeune adolescente qui, au cours d’une soirée étudiante où elle se rend à contrecœur, va faire face à plusieurs événements étranges et fantomatiques. Le film regorge d’inventivité et d’influences, citant John Carpenter dans sa scène d’ouverture ainsi que tous les plus grands noms du giallo, allant de Dario Argento à Mario Bava. Un profond attachement se voit créer dès les premiers instants entre le personnage principal et le public. Fantine Harduin campe parfaitement cette jeune fille ne se sentant pas à sa place dans cet environnement festif estudiantin, comme si elle ne rentrait pas en adéquation avec son environnement, comme si elle n’était pas en concordance avec son époque. Le traitement des angoisses de ce personnage vont se matérialiser par ce comportement errant ainsi que des manifestations d’éléments lugubres, permettant à la mise en scène d’embrasser totalement toutes ses influences cinématographiques au service de son récit. Le tout offrira un spectacle qui impliquera probablement une résonance certaine pour toutes les personnes s’étant déjà senties en inadéquation mentale comme physique avec son entourage global. A la limite plaira aux amateurs de cinéma horrifique italien, assumant son héritage giallo, se permettant même d’avoir Fabio Frizzi – compositeur pour Lucio Fulci et Sergio Martino ainsi qu’invité d’honneur du BIFFF 2024 – en tant que concepteur de la soundtrack du film. La boucle est bouclée !Vladimir Delmotte
Dit "Le Comte", Vladimir est passionné de cinéma depuis qu'il est tombé sur une rediffusion CANAL+ en crypté de "Gorge Profonde". Il n'a de cesse depuis lors de hurler sur des publics de cinéclub, voire sur de simples passants dans la rue pour expliquer à quel point les images en mouvement, c'est trop génial. Plus de publications