Cinéma bis et sexe auront souvent été un mariage évident. Des multiples pans du cinéma d’exploitation, les scandinavians sins sont parmi ceux où la sexualité connaît l’une des plus grandes représentations. Série de productions cinématographies d’Europe du Nord à tendance érotique, voire pornographiques, Ces films ont brisé tous les tabous durant les années 60-70. C’est précisément dans ce mouvement que sera révélée Christina Lindberg, actrice qui deviendra à la fois l’icône absolue du genre, ainsi que l’un des meilleurs moyens de décrire et synthétiser celui-ci.

Christina grandit à Göteborg, une ville ouvrière typique du sud de la Suède où elle naquit en 1950. Son enfance sera relativement compliquée, mais elle finira par étudier les langues ainsi que l’égyptologie. C’est durant des sorties à la plage où dans des discothèques qu’elle sera approchée par des photographes qui lui proposeront d’être engagée comme modèle pour plusieurs magazines de charme. Elle obtiendra déjà une certaine notoriété dans le milieu, au point de recevoir plusieurs propositions de tournage pour le cinéma.

Christina jouera ainsi, pour son tout premier film, dans une production Cannon : Maid in Sweden (1971) réalisé par Dan Wolman, un film érotique dans lequel une adolescente nommée Inga, jouée par Christina Lindberg, quitte sa maison familiale afin de passer des vacances à Stockholm chez sa sœur et le compagnon de celle-ci. Le métrage va explorer comment cette jeune fille va peu à peu faire des rencontres et s’éveiller au désir sexuel. Si le discours du film s’avère à bien des aspects plus que discutable aujourd’hui, il reste assez intéressant pour comprendre la perception très singulière de l’érotisme d’époque. A l’exception de quelques rares scènes d’ébats sexuels, le métrage se veut assez soft et l’essentiel de ces séquences consiste à filmer Lindberg lorsque celle-ci se change ou prend sa douche. Cela va d’ailleurs terriblement passionner le metteur en scène tant la caméra s’évertue à tourner ces plans lors de ralentis très stylisés. Le personnage d’Inga deviendra une forme de symbole dans l’imaginaire collectif suédois, à la fois de liberté et de débauche, tout en continuant d’expatrier à l’internationale une vision très libertaire de la sexualité féminine scandinave. Le film aura un impact tel que presque toutes les productions suivantes incluant l’actrice utiliseront des motifs similaires.

Travailler dans ce film ne fut pas simple pour Lindberg qui était toujours étudiante à l’époque, ce qui l’obligea à manquer certains cours pour aller tourner à Stockholm. Une fois Maid in Sweden en boite elle achève ses études avant de reprendre la direction des plateaux de cinéma avec le film The Dog Days de Jan haldoff. C’est à ce moment que Lindberg commencera à devenir connue dans toute la Suède grâce à son travail pour les magazines de charmes et les productions de films érotiques. Elle sera surtout connue comme modèle, elle dit d’ailleurs qu’elle jouera plus ou moins son propre rôle toute sa carrière, une sorte d’ange symbole de liberté (sexuelle, entre autres). Lindberg revendique une forme d’anticonformisme tout en restant elle-même, ce qui fait que beaucoup la percevait comme une espèce d’alien en Suède. Les féministes, notamment, la détestaient, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui.

C’est finalement le film La Possédée qui lui apportera sa première grande aura cinématographique, sans pour autant être son œuvre la plus iconique. C’est pourtant un film qui ressemble à ses précédents à ceci près qu’il fut projeté au festival de Cannes en 1971. L’une des possibles raisons de cette mise en lumière serait le fait que Lindberg choisit d’enlever son haut de maillot sur les plages cannoises face à des photographes. Cet acte, certes fructueux pour la lisibilité du film, visibilisa surtout énormément l’actrice. Cela lui permis d’avoir accès à d’autres petits rôles dans le cinéma érotique et renforça également son statut de modèle de charme. Elle eut également de la lisibilité au Japon où elle tourna 2 films, dont le sulfureux et esthétique Sex and Fury (1973) de Nirofumi Suzuki, qui inspira grandement Quentin Tarantino dans l’élaboration de certaines scènes de Kill Bill. Elle travaillera également une petite partie de sa carrière en Allemagne dont ressortiront des films tels que Les Indécentes ou La Chasse aux Pucelles, mais sa consécration internationale n’intervint finalement qu’en 1973.

C’est durant cette année que sort Thriller : a cruel story, qui sacralisera Lindberg en une icône totale. Le récit dépeint la vie de Madeleine, jeune fille devenue muette suite à une violente agression durant l’enfance. En grandissant, celle-ci va tenter de reprendre le contrôle de sa vie, mais suite à une mauvaise rencontre avec un proxénète sociopathe, elle sera éborgnée, rendu accro à l’héroïne et forcée à la prostitution de la plus violente des manières. Son destin semble d’être mise en pièce et dépouillée de tout plaisir propre. Dépossédée de ses sens les plus primaires, Madeleine va s’exprimer essentiellement par la vengeance en tentant d’abattre ses ennemis et de reprendre possession d’elle-même.

L’idée de Thriller est née au début des années 1970. Le cinéma suédois était alors une petite industrie s’étant beaucoup construite autour d’Ingmar Bergman. A cette époque Bo Arne Vibenius, cinéaste et ancien assistant du légendaire réalisateur (comme beaucoup des collaborateurs de Linberg), se trouve en difficulté suite à l’échec cuisant de son premier film. Sortant de ce qui était un film pour enfant, il projette alors la mise en place d’une œuvre mariant violence, sexe et sensualité afin de maximiser les profits. Thriller est donc né dans une authentique volonté de cinéma d’exploitation. Linberg n’a été engagée par Vibenius que pour son apparence physique, il en fera un personnage totalement muet. Il savait qu’elle était déjà très connue en Suède, surtout depuis le succès de La Possédée, et qu’elle pourrait assurer la rentabilité du projet. Pour Christina, ce projet (comme ce sera le cas pour Sex and fury) fut l’occasion de construire un véritable rôle de cinéma malgré le caractère mutique du personnage. C’est en effet son premier « vrai » rôle après une série de films érotiques assez similaires. Lindberg va retranscrire tout son panel d’émotions par sa posture, un travail sur l’immobilisme et – paradoxalement – le mouvement.

Vibénius tourne le film pour 40 000$ avec une équipe réduite composée parfois d’amateurs. Il va choisir d’embrasser le sous-genre du rape and revenge en s’inspirant de classiques comme La Dernière Maison sur la Gauche (1972 – Wes Craven), qui étaient la synthèse en la matière. Il n’est également pas impossible qu’il se soit également inspiré du film La Source (1960) de Bergman, dont on ressentira l’influence dans la mise en scène lorsqu’il s’agit de filmer des paysages. Linbderg va de son côté beaucoup s’entraîner au tir au fusil et aux sports de combat.
Vibenius, en bon roublard qu’il est, ajoutera des inserts de plans sexuellement explicites lors de scènes de sexe impliquant l’actrice, celle-ci ne le savait pas avant de découvrir le produit final. Ces images ont été tournée avec des doublures, un couple surnommé « Roméo et Juliette », connu en Suède pour réaliser ensemble des films pornographiques, parfois même en public. Thriller fut retiré à 2 reprises des salles après une semaine et c’est finalement à l’étranger qu’il connaîtra une réelle exploitation. Cela eu lieu, ironiquement, en partie grâce aux polémiques de censure, de la même manière que Massacre à la Tronçonneuse (1974).

Le cinéaste ne fit qu’un seul film après Thriller, sa carrière ne décolla pas. C’est réellement le personnage de Madeleine qui va rester et devenir une icône de cinéma et de féminisme, de la même manière que la femme scorpion au Japon. Elle est un symbole de révolution et de « femme forte » malgré la censure et certains dispositifs cinématographiques parfois douteux. Il s’agit du rôle le plus emblématique de Lindberg, inspirant John Carpenter pour créer l’anti-héros Snake, et bien entendu Quentin Tarantino pour le personnage d’Elle Driver dans Kill Bill. La force du métrage vient de son mélange entre cinéma d’exploitation gras, et ses parti-pris d’auteur, on sent encore une fois par certains aspects une forme de poésie influencée par Bergman, tout offrant au final un vrai film de genre.

Lindberg tournera peu après Thriller, elle apparaîtra dans Anita (1973) et chez quelques grands noms du cinéma d’exploitation (dont le tristement célèbre Damiano, réalisateur de Deep
Throat
), mais stoppera sa carrière suite à la montée du cinéma X durant la seconde moitié des années 70. Elle ne fera plus que de petites apparitions et participations dans quelques films érotiques et documentaires, mais elle quittera globalement le monde du cinéma pour se consacrer à d’autres projets. Elle est régulièrement présente dans des conventions/festivals traitant de cinéma d’exploitation, évoquant son passé avec ludisme et décryptage. Elle reste l’icône absolue du cinéma scandinave.

Christina Lindberg était présente en tant qu’invitée d’honneur du festival Offscreen à Bruxelles, nous lui consacrerons une soirée d’hommage au Chimeric Lab le samedi 06 avril 2024 pour la délocalisation liégeoise du festival.

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Vladimir Delmotte

Dit "Le Comte", Vladimir est passionné de cinéma depuis qu'il est tombé sur une rediffusion CANAL+ en crypté de "Gorge Profonde". Il n'a de cesse depuis lors de hurler sur des publics de cinéclub, voire sur de simples passants dans la rue pour expliquer à quel point les images en mouvement, c'est trop génial.

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