Manhattan, LE quartier de New-York en perpétuelle ébullition. On s’y agite en tous sens au sein de son Crossroads of the World, les touristes se bousculent pour prendre une photo de sa statue en cuivre tandis que les locaux se pressent dans les artères menant au Financial District et sa célèbre Wall Street. L’endroit Where the streets have no name, comme dirait Bono, et si vos pas vous perdent entre la 3e et la 9e avenue, vous débarquerez dans la 42e rue. Une rue qui comme ces 219 sœurs contient des bâtiments comme le Chrysler Building ou la Grand Central Terminal. Difficile de croire que cette rue désormais banale, fut, dans les années 50, la Cour des Miracles new-yorkaise. Véritable extension de Broadway, la 42e rue regorgeait, dans les années 30, de théâtres et de salle de spectacles financés par de riches entrepreneurs qui y voyaient une véritable mine d’or. Desservie, à l’époque, par pas moins de 7 lignes de métro, la rue attirait en moyenne 15 millions de visiteurs par an. Peu à peu, les théâtres furent convertis en salles obscures, conséquence de l’avènement du cinéma mais aussi de la prohibition, qui eu pour effet de privatiser de plus en plus les loisirs. Si la vitalité financière de cette rue séduisait bon nombre d’investisseurs, elle attirait également un autre genre de commerce : celui de la drogue et de la prostitution.

Scandal ! Grindhouse ! Sexploitation !

Dans les années 50, les salles de spectacles devenaient des bars de strip-tease et les cinémas des grindhouse. Popularisés par Tarantino et Rodriguez et assimilés à des cinémas spécialisés dans le Z et le X, les grindhouse sont avant tout des salles de Binge Viewing pour spectateurs désoeuvrés et cinéphiles compulsifs, ouvertes presque 24 heures/24, diffusant films de majors mais également de kung-fu, séries B et autres bandes de sexploitation. Une programmation foutraque où certains films ne restent parfois que deux heures à l’affiche. Durant une trentaine d’années, cette rue sera surnommée The Deuce, fréquentée par une faune éclectique, bigarrée et mal famée. Petit à petit, les films d’exploitation cèdent la place à des films de plus en plus explicites, le porno s’imposant jusqu’à éclipser le reste. Certains de ces films X, délicieusement kitschs et outranciers, offriront une matière première de toute beauté à Nicolas et Bruno (auteurs des Messages à caractère informatif de Canal +) pour leur jubilatoire A la recherche de l’Ultra-sex, grand détournement carburant à la blague idiote située sous la ceinture, jovial melting-pot mêlant sous-science-fiction et sexploitation dans le bordel le plus complet. Dans les années 90, la ville décide de reprendre le contrôle de cette zone de non-droit et fait le ménage, la rue est désormais rebaptisée «  New 42 Street  ». Les salles de spectacles et de théâtres ressurgissent du passé, au grand bonheur de la bienséance et des touristes. Disney rénove des cinémas, et Grindhouse devient un terme marketing fourre-tout, synonyme de films débridés, excessifs, et faussement rétro.

42nd Street Boy

Cinéphage obsessionnel biberonné à la 42ème rue, Frank Henenlotter apprend le 7ème art sur les écrans du grindhouse. Marqué à vie, il rend hommage à la fameuse artère new-yorkaise dès son premier long métrage, Basket Case, produit avec les moyens du bord, une foi inconditionnelle dans l’artisanat et une bonne dose de culot. Le pitch est évocateur  : un jeune homme dissimule dans un panier son jumeau siamois difforme, dans une quête vengeresse pour abattre les médecins – et le vétérinaire – les ayant séparés à l’adolescence.

Henenlotter s’offre tous les excès, refusant pourtant l’étiquette de réalisateur de film d’horreur : il est un auteur d’exploitation et de sexploitation. Budgets réduits et effets spéciaux cheap, il assimile, en bon fils de la 42e rue, tout ce que rejette Hollywood. A tel point que lorsque Henenlotter présente l’un de ses meilleurs films, Frankenhookerà la Motion Picture Association of America (à l’époque composée en grande partie de studios comme la Warner), il se voit répondre que son film mérite grandement la note S, non pas S comme Sex mais comme Shit. Apparemment, l’histoire de cet homme reconstituant sa femme à partir de morceaux de prostituées n’est pas au goût des majors. La virulence de la réponse ne fait que conforter Henenlotter dans son idée: le Hollywood des années 80 est une mascarade de cinéma derrière lesquels se cachent des producteurs frileux, maniaques et bling-bling.

Henenlotter n’en virera pas pour autant sa cuti, offrant deux suites à Basket Case et une poignée d’œuvres inclassables, volontairement absurdes, qui demeurent peut-être le dernier véritable témoignage de ce que fut l’esprit de la 42ème rue. Un authentique dinosaure du ciné d’exploitation, loin de la hype mais d’une sincérité à toute épreuve.

Christophe Mavroudis

Dit "Le Spécialiste", on appelle Christophe lorsque ça chauffe vraiment. Armé de son expérience de monteur/réalisateur, son érudition et sa passion pour le cinéma de genre, il n'hésite pas à fournir conseils et expertise pour l'aide au développement de projets de fiction. Il coordonne également la délocalisation liégeoise du Festival Offscreen et anime des conférences. Un couteau-suisse on vous dit.
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