Le nom de Terminator est aujourd’hui synonyme de blockbuster pétaradant, de production dispendieuse, et disons le net d’errance narrative depuis quelques opus. On en oublierait presque que le film original, loin de tabler sur la surenchère, fonctionnait avant tout comme un modèle de Série B dopée au talent, aussi dynamique qu’anxiogène, plus oppressante qu’excitante, s’abreuvant davantage dans l’horreur que dans l’action pure malgré un rythme imparable.
L’origine du film a été narrée bien des fois : épuisé par l’expérience éreintante de Piranha 2, James Cameron, victime d’une fièvre intense, cauchemarde l’image d’un brasier intense dont émerge un squelette métallique. Illustrateur de talent, il fixe sur papier l’apparition. Autour de cette inspiration, tout un univers se met en mouvement. Une guerre entre les hommes et les machines, une humanité aux abois galvanisée par un leader providentiel, et un ultime conflit qui aura lieu une nuit de l’année 1984 entre une machine indestructible recouverte de peau humaine et Kyle Reese, un soldat du futur démuni. L’enjeu : Sarah Connor, mère du futur sauveur de l’humanité. Si elle tombe sous les coups de la machine, avant même la conception de son fils, c’en est fini de l’humanité.
Pour la première apparition du T800, pas question d’atténuer l’angoisse. Cameron refuse l’humour, déterminé à marquer durablement le spectateur. L’ennemi fatal, le cyborg envoyé par l’IA totalitaire Skynet, prend dans les premiers jets du projet l’apparence d’un homme banal. Le concept est celui d’une machine infiltrée, capable de se fondre dans la foule jusqu’à atteindre sa cible ; un acteur est pressenti, Lance Henriksen, rescapé de Piranha 2. Face à lui, le dernier champion de l’humanité, rôle pour lequel Arnold Schwarzenegger est d’abord abordé. Auréolé du succès de Conan le Barbare, en pleine ascension hollywoodienne, l’autrichien accepte de rencontrer James Cameron mais dès le premier entretien, les cartes sont rabattues. L’un comme l’autre ne parviennent pas à voir dans la montagne de muscle le personnage de Kyle Reese. Le cœur de Schwarzenegger penche vers l’ennemi, la menace indestructible. Cameron pense de même : en faisant du colosse l’adversaire ultime, et en lui opposant un héros physiquement plus commun, l’efficacité brute du film n’en sera que renforcée, le rapport de force établi penchant spontanément en faveur du corps le plus impressionnant, hors norme. Tant pis pour la discrétion, Terminator doit être direct et puissant comme le poing du cyborg lorsqu’il pulvérise fenêtres et murs – le concept d’unité d’infiltration discrète attendra la suite et son T1000 en poly-alliage mimétique. Le T800 doit s’imposer dès sa première apparition comme un bloc inébranlable. « It can’t be bargained with, it can’t be reasoned with ! » Une pure créature de terreur uniquement mue par son objectif, multipliant les cadavres autour d’elle dans une logique qui, dans la partie précédent le premier contact entre la machine et Reese (point de bascule du film dans l’action), n’est pas si éloignée de celle du slasher. Cette situation désespérée, Cameron la renforce par chaque angle, chaque choix de mise en scène, de la musique synthétique de Brad Fiedel aux maquillages prosthétiques gores de Stan Winston mêlant peau arrachée et métal. Mais face à la machine de mort, Cameron oppose la pulsion de vie. Le film prend le rythme de la course effrénée de Kyle Reese et Sarah Connor pour survivre quelques heures de plus, malgré les faibles chances de victoire. Le désespoir est patent dans Terminator, l’obscurité à peine éclipsée par la romance fulgurante entre les deux héros, un amour intense qui deviendra source d’espoir pour l’humanité avec la conception de John Connor.
Mais pas question encore ici pour Cameron d’imaginer modifier le futur : une large partie de l’humanité est condamnée, « a storm is coming ». Les suites oublieront d’ailleurs (volontairement ?) que plus rien ne pouvait modifier la donne. « Plus personne ne pars, plus personne ne vient. Il n’y a plus que lui, et moi », déclare Reese. Les enjeux ne peuvent plus se déployer au terme de cette rencontre, et développer la mythologie davantage ne peut que déforcer cette position première. Et si Terminator 2 s’impose malgré cette trahison même aux fondations de son histoire originale, le ton en est sensiblement modifié et la franchise (ne parlons plus vraiment de série ou saga ici) peinera ensuite à renouer avec l’esprit du premier opus. Car cette sensation de fatalité renforce encore l’horreur, la main des machines n’attend qu’une occasion pour nous broyer. La rapide description des champs de bataille dévastés du futur n’est pas suffisante, car à peine le prologue passé, Cameron filme les véhicules comme des masses puissantes, écrasantes. Le T800 n’a pas encore franchit les portes du temps que la caméra filme déjà en contre-plongée un engin de chantier et de lourds bruits de pistons. En réalité, les monstres qui vont nous détruire sont déjà là. Cameron, sa co-scénariste-productrice Gale Anne Hurd, aidés par William Wisher, illustrent à merveille une peur qui anime l’homme depuis qu’il s’imagine modifier le monde : celle de voir une de ses créations le supplanter, fomenter notre éradication. L’IA dans ce qu’elle a de plus terrifiant, exploité maintes fois au cinéma, de Colossus : The Forbin Project à Matrix. Notre quête de perfectionnement technologique sera la source de notre perte. Un concept que rien ne peut atténuer ici, et certainement pas l’apprentissage des émotions qui sera un enjeu majeur de sa suite plus « morale » sur un plan thématique. Le terminator original est une monstruosité, dépourvue de toute humanité. Créature infernale, son apparence ne fera que se dégrader à mesure que le métrage avance, l’hybridation caractéristique du cyborg (mi-homme, mi-machine) étant mise à vif par les chairs déchirées. C’est d’une certaine façon un zombie cybernétique que le T800 incarne dans ses dernières phases – un détail révélateur et totalement occulté par les suites va d’ailleurs dans ce sens, lorsqu’un dialogue signale que le personnage, abîmé dans un violent accident de voiture, pue le chien crevé, suggérant que sa peau abîmée est en train de pourrir. Ce travail sur l’horreur place de fait Terminator dans un terrain en réalité peu exploré : car plus qu’un objet de pop culture, le film de Cameron opère une synthèse parfaite entre l’action et l’épouvante, l’arrière-plan post apocalyptique amplifiant chacun des enjeux jusqu’à intégrer l’imaginaire collectif, faisant de l’œuvre un prototype imparable, évident, et pourtant unique.
Terminator sera projeté au Cultivarium le 12 avril 2023 dans le cadre de la 10ème édition d’Offscreen Liège, en partenariat avec le Pirate Movie Club.
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Christophe Mavroudis
Dit "Le Spécialiste", on appelle Christophe lorsque ça chauffe vraiment. Armé de son expérience de monteur/réalisateur, son érudition et sa passion pour le cinéma de genre, il n'hésite pas à fournir conseils et expertise pour l'aide au développement de projets de fiction. Il coordonne également la délocalisation liégeoise du Festival Offscreen et anime des conférences. Un couteau-suisse on vous dit.Contactez-le !