Certains clichés ont la vie dure. A l’association des mots « cinéma » et « tchécoslovaque », il y a de fortes chance que le cerveau du spectateur lambda génère des images granuleuses en noir et blanc de prolétaires dépressifs. Un cinéma « spécifique », comme on dit. L’histoire du pays n’est pas étrangère à ces a priori tenaces. Entièrement repris par l’État dès la fin de la seconde guerre (et de l’occupation nazie), le cinéma tombe sous la coupe communiste après le putsch de 48, et semble condamné à devenir instrument de propagande: toutes les œuvres doivent être approuvées par le gouvernement. Paradoxe créatif, c’est dans ce climat peu propice à son développement que la fantaisie va progressivement se répandre dans le 7ème art tchèque pour en devenir l’un des versants les plus remarquables. Le film d’animation, en particulier, bénéficie de talents rares comme ceux de Jan Švankmajer, qui entame dès 1964 une œuvre de premier ordre, qui influencera les animateurs des quatre coins du globe. Venu également de l’animation et du dessin, Karel Zeman s’illustre dès son premier long métrage, Voyage au cœur de la préhistoire (1955), comme un jalon indispensable de l’Imaginaire filmique, convoquant les grands thèmes des littératures d’aventures et de ses œuvres phares pour leur donner une existence de celluloïd (la rencontre avec le Baron de Münchhausen était inévitable). A la suite de Zeman, de nombreux cinéastes tchécoslovaques s’emparent des mythes et des contes de fées: Alice (avec Alice and her week of Wonders de Jaromil Jireš en 1970), La petite sirène (Karel Kachyňa, 1976)… La nouvelle vague de cinéastes tchèques – celle qu’on aurait voulu avoir – revisite les histoires les plus populaires avec une subversion inattendue, assumant un artisanat loin du clinquant du fantastique hollywoodien, et verse dans le surréalisme pur. Parmi eux se démarque Juraj Herz, qui après avoir porté un regard fuligineux sur son pays en 1969 avec le troublant L’incinérateur de cadavres, livrera en 1978 un Beauty and the Beast volontier horrifique. Quatre années plus tard, il s’attaquera à un mélange des genres inhabituels avec Ferat Vampire et sa voiture buveuse de sang. En 1989, la révolution de velours survient. Le communisme s’effondre et le financement du cinéma national en est bouleversé. Certains doivent se tourner vers le reste l’Europe, comme Jiří Barta, talentueux animateur qui confirmera plus tard avec son Drôle de grenier que le cinéma tchèque, peu ou mal connu, mérite bien un nouvel éclairage.

Baron Prášil

Raconter des Cracs. Une spécialité du Baron de Münchhausen, personnage historique dont les affabulation notoires lui vaudront le nom de « Baron de Crac ». Un personnage truculent, haut en couleur, auquel le cinéma rendra hommage à de multiples reprises. Pour Karel Zeman, pas besoin de polémiquer sur les allégations due l’individu lorsque qu’il se penche sur son cas en 1961. Accompagner le Baron, s’est emprunter la roule de l’imaginaire pur. A bord d’une fusée qu’on dirait empruntée à Méliès et Jules Verne, l’astronaute Tonik rejoint la Lune et y rencontre des figures emblématiques de la Haute Aventure, tel Cyrano de Bergerac, et bien entendu le Baron. Tonik et celui-ci partent explorer un monde tantôt en deux, tantôt en trois dimensions, où règne l’influence manifeste de Gustave Doré. Papier découpés, animation, décors rococos ne dissimulant jamais leur artificialité… Karel Zeman  sublime un sujet déjà riche par une multiplication des techniques, une ferveur totale dans l’image et son pouvoir évocateur. Le baron de Crac chevauche un boulet de canon (inévitable), joue les pinocchios en explorant le ventre d’un gigantesque monstre marin… Quelques années plus tard, Gilliam prétendra n’avoir pris connaissance du film de Zeman que durant la préparation houleuse de son propre opus. Difficile de ne pas déceler une filiation entre les deux œuvres, même si la version de Zeman l’emporte par sa liberté et l’inventivité magnifiant chaque photogramme.

Drôle de grenier

Avec Drôle de grenier (2009), Jiří Barta doit relever deux défis de taille. Le premier tient dans la comparaison hâtive que l’on pourrait faire entre son film et une certaine œuvre des studios Pixar (dans les deux cas, nous suivons le quotidien d’un groupe de jouets qui s’anime une fois le regard des hommes détournés). Ensuite, l’œuvre devra être produite avec de l’aide de  de son pays natal, révolution de velours oblige. S’il résout ce problème en s’associant avec différents pays européen, Barta règle la confrontation avec Toy Story par son approche esthétique, l’originalité de son traitement, et un récit aux résonances plus politiques. Cumulant les mélanges d’animation comme autant d’ingrédients de sa mise en scène (les personnages deviennent des dessins de crayons dès qu’ils passent derrière une fenêtre, les draps dévalant d’une armoire deviennent des flots furieux…), Barta cherche le merveilleux dans l’objet le plus anodin, mais en révèle également la part horrifique. Sous ses dehors enfantins, Drôle de Grenier raconte l’installation d’un régime totalitaire et les conséquences funestes de la propagande. Barta dévoile l’âme des poupées, mais aussi leur part noire, et le Drôle de Grenier manque parfois de devenir un lieu de cauchemar. Où quand le vernis de la naïveté n’empêche pas la pertinence du discours…

Christophe Mavroudis

Dit "Le Spécialiste", on appelle Christophe lorsque ça chauffe vraiment. Armé de son expérience de monteur/réalisateur, son érudition et sa passion pour le cinéma de genre, il n'hésite pas à fournir conseils et expertise pour l'aide au développement de projets de fiction. Il coordonne également la délocalisation liégeoise du Festival Offscreen et anime des conférences. Un couteau-suisse on vous dit.
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