Mettant en scène l’amitié entre un jeune garçon et un robot énigmatique dans le contexte paranoïaque de la Guerre Froide, Le Géant de Fer est une œuvre qui n’a pas volé son statut de film culte. Malgré un échec lors de sa sortie en salle, il est aujourd’hui considéré comme l’un des meilleurs films d’animations de la fin du siècle dernier et a permis de faire découvrir au grand public le talent de son réalisateur, Brad Bird.
Jeune prodige de l’animation, Brad Bird commence à faire ses armes chez Disney. Attirant leur attention à tout juste 14 ans, il obtient un stage lui permettant de fréquenter de grands noms comme Milt Kahl, dessinateur clé de la firme, à l’œuvre sur des projets comme Blanche Neige et les sept nains, Pinocchio ou encore Bernard et Bianca. Après des études à la California Institute of the Art, il retourne vers Disney et est engagé comme animateur principal sur Rox et Rouky. Son caractère prononcé ainsi que son franc parler lui fait évoquer ses doutes sur les qualités artistiques des productions en cours après des grands patrons de la firme et Mickey étant susceptible, il est rapidement licencié.
Il se dirige alors vers le petit écran et devient consultant puis réalisateur sur des séries comme Les Simpson avant de créer la série animée Family Dog, adaptée d’un épisode de la série Histoires Fantastiques de Steven Spielberg.
Face au succès du Roi Lion en 1994, plusieurs studios sentent le vent tourner et décident de développer de l’animation pour le cinéma, c’est le cas de Warner Bros qui propose à Brad Bird l’écriture d’un scénario : Ray Gunn. Pas de chance, Le projet n’aboutira finalement pas mais la Warner souhaite perdurer sa collaboration avec Bird et lui proposent de travailler sur un projet dormant depuis un moment dans les cartons du studio. Ce projet c’est Le Géant de Fer. Adapté d’une nouvelle de l’auteur britannique Ted Hughes, le film est dans un premier temps imaginé comme une comédie musicale avec Pete Townshend du groupe The Who. Brad Bird s’empare alors du projet et livre une version tout à fait différente. Il développe l’idée brillante de déplacer la temporalité de l’intrigue dans les années 50 en pleine Guerre Froide et de jouer sur la paranoïa ambiante de l’époque autour de l’escalade du nucléaire. Il décide aussi de centrer le récit sur une thématique centrale de la science-fiction à savoir l’émergence de l’âme chez une machine, pensée comme une arme.
Hélas, les finances de Warner Bros ne sont pas au beau fixe, ce qui pousse le studio à diminuer fortement le budget du film et freiner les élans artistiques du réalisateur. Cette économie de moyens amène Brad Bird à se montrer plus créatif sur le plan technique. Il impose l’utilisation du logiciel After Effect et choisit de mélanger des images dessinées à la main avec de la 3D, notamment pour animer le robot. Il s’entoure de personnalités particulières du cinéma à savoir Joe Johnston (réalisateur de Jumanji et protégé de George Lucas et Steven Spielberg) qui imagine alors le design du robot, (évoquant celui du Roi et l’Oiseau) ainsi que Vin Diesel, recruté quant à lui pour assurer son doublage.
Malgré le potentiel manifeste du film, la Warner décide de réduire le temps de production de moitié et surtout de sacrifier sa promotion.
Ce manque de visibilité amène une majorité de spectateur à découvrir le film sur le tard et malgré un certain succès critique, le Géant de Fer fait un bide au box office.
Bird ne se laisse pas abattre et fait preuve de flair en se faisant engager chez Pixar avec qui il réalise les succès Les Indestructibles (2004) et Ratatouille(2006). Ces projets lui permettent de décrocher des prix prestigieux et ainsi accéder au rang des réalisateurs qui comptent. Grâce à ces succès, il se voit proposer la réalisation de films live, dans un premier temps une commande, Mission Impossible : Protocole Fantôme (2011), le 4e volet de la saga de Tom Cruise, et dans un second temps, de retour chez Disney, un film dont le thème lui est bien plus personnel, À la poursuite de demain (2015) – un échec commercial conséquent qui le fera revenir chez Pixar (depuis racheté par Disney) pour la suite des Indestructibles (2018).
Toute la richesse du Géant de Fer réside dans ses différents niveaux de lectures, véritable précurseur d’un ton qu’adoptera Pixar dans ses productions plus récentes. L’enfant est emporté par la poésie et l’émerveillement là où l’adulte peut se passionner par la dimension historique ainsi que par les clins d’œil et références cachées disséminés dans le métrage. Ultra référencé, voire presque méta, il multiplie constamment les déclarations d’amour à la science-fiction ainsi qu’au cinéma d’espionnage à la Hitchcock, du Jour où La Terre s’arrêta en passant par Planète Interdite sans oublier évidemment son influence majeure, E.T. de Spielberg. Plus que de simplement citer ses inspirations, Brad Bird met en scène une véritable satire sociale qui dépeint le portrait d’une société américaine dite de « classe moyenne » mais avec toute la douceur qui lui est propre. Il n’hésite pas à ajouter des éléments historiques, comme le dessin animé sur le nucléaire visionné par Hughes à l’école inspiré par un véritable cartoon de propagande, afin d’immerger au mieux le spectateur dans cette époque particulière.
S’implantant dans un contexte bien réel de paranoïa et de course à l’armement, le Géant de Fer se veut un véritable plaidoyer contre la guerre et ses absurdités. L’idée de génie est ici de détourner la figure du robot, principalement conçu comme une arme, afin d’en faire une figure enfantine et pacifiste. Oubliant sa mission principale de destruction à cause d’un choc à la tête, il devient un enfant qui doit tout réapprendre, notamment les émotions primaires ainsi que les concepts d’amitié et de mort. Le robot développe des émotions et des besoins humains, il a peur, faim et se met même à rêver. On découvre un être sensible qui admire la nature et ne supporte pas qu’on fasse du mal aux êtres vivants. Pourtant, sa carrure imposante le place directement comme une menace, menace qui va être instrumentalisée par l’homme dans ses plus bas instincts belliqueux. Derrière la peur du robot se cache aussi un discours sur la peur de l’étranger et de la différence, pour finalement déboucher sur l’absurdité de la guerre, on y revient toujours. Cette méfiance va en effet engendrer une escalade de la violence, avec une ampleur assez terrifiante dans la mise en scène (déploiement d’un arsenal militaire lourd, bateaux, avions, etc.). Le film se termine cependant sur un message humaniste et pacifiste qui redonne un peu d’espoir et fait couler quelques larmes.
Réhabilité depuis sa sortie en vidéo aux Etats-Unis, Le Géant de Fer est aujourd’hui considéré comme un classique de l’animation. A la fois drôle et émouvant, il a laissé une empreinte déterminante dans la pop culture du 20ème siècle. Son influence est telle que Steven Spielberg, réalisateur à l’origine de ses inspirations, lui rendit hommage dans son Ready Player One. La boucle est ainsi bouclée.
Le Géant de Fer sera projeté le dimanche 16 avril à 14h au Cultivarium pour une séance familiale.
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Marine Laboury
Apprentie scénariste vouant un culte au cinéma et petite voix qui parle de films dans tes oreilles. Biberonnée aux slashers dès sa plus tendre enfance elle a développé le talent ultime de déceler l’identité des tueurs de Scream dès les premières minutes. Attention, l’inviter c’est vous faire spoiler !