Classique aujourd’hui incontesté du cinéma italien, Profondo Rosso, aka Les frissons de l’angoisse, mètre étalon du Giallo signé par un Dario Argento au sommet de sa carrière, bénéficie d’une projection liégeoise à l’occasion de la sortie de l’ouvrage Le Grand Cauchemar de mon Choix, de Luciano Curreri et Michel Delville, et en a profité pour s’intégrer à la programmation de la 3ème délocalisation Liégeoise d’Offscreen. Retour sur un film emblématique et le courant dont il est issu.

On le sait, le cinéma transalpin est loin d’être négligeable dans l’histoire du cinéma. Les années 60 et 70 sont pour lui des années fastes, une période particulièrement opulente qui a vu le 7ème art transalpin occuper un vaste champ allant d’un cinéma plutôt intellectuel au plus pur film de genre. On pense bien sûr très vite à des réalisateurs comme Leone, Corbucci ou Solima (à croire qu’ils s’appellent tous Sergio) et à leurs westerns spaghetti, mais on assiste également depuis quelques années à un vif regain d’intérêt pour un autre genre typiquement italien, le Giallo, thriller «  Al Dente  » pour les gastronomes du 7ème art, véritables matrices esthétiques d’Amer et de L’étrange couleur des larmes de ton corps, les deux coups de poing filmiques d’Hélène Cattet et Bruno Forzani.

Si le terme Giallo évoque des codes cinématographiques très précis, ses origines n’en sont pas pour autant uniquement filmiques, mais découlent d’une tradition littéraire italienne qui existait depuis les années 20. La collection Giallo (jaune en italien, dû à la couleur de couvertures des romans) était une série de romans policiers publiés jusque 1969, l’équivalent de la «  série noire  » en France. En tête de file de la pléthore de cinéastes qui se penchera sur le genre, Mario Bava, grand auteur du cinéma fantastique italien, initie le mouvement avec La Fille qui en Savait Trop, sorti en 1963.
Ce n’est cependant que lorsque Dario Argento – plus célèbre représentant du genre aujourd’hui – sort son premier film, L’Oiseau au Plumage de Cristal (1970), que la mode du Giallo est lancée.
Enorme succès, le film s’impose comme un véritable modèle du genre. Tous les éléments constituant le Giallo sont présents: le tueur masqué, un certain fétichisme autour des mains gantées de cuir du tueur et de son arme blanche, un visuel très baroque par moment, une certaine érotisation des victimes féminines, et une intrigue policière tortueuse.

Après le succès de ce premier métrage, l’ami Argento décidera de continuer sur sa lancée et sortira coup sur coup deux autres Gialli, Le Chat à Neuf queues et Quatre Mouches de Velours Gris. Ces films auront une telle influence qu’ils initieront une tradition « animalière » dans le Giallo, consistant à introduire un nom d’animal dans le titre, sans lui imposer pour autant un quelconque lien avec l’intrigue. Film particulièrement intéressant de cette descendance, A Lizard In Woman’s Skin de Lucio Fulci (Le venin de la peur chez nous), sort à peine un an après L’Oiseau au Plumage de Cristal. Fulci s’ingénie déjà à déconstruire les codes mis en place par le film d’Argento, pour proposer une œuvre atypique reléguant volontiers l’intrigue policière au second plan pour se rapprocher d’une expérience de cinéma plus psychédélique.

L’art se donne un genre

1975. Argento réalise le film que beaucoup considèrent comme l’apothéose du Giallo, le bien-nommé Profondo Rosso, cinquième film du réalisateur. Dans celui-ci, Marcus Daly, pianiste de jazz américain, est témoin du meurtre d’une medium. Il décide d’enquêter et se retrouve ciblé à son tour par le tueur.

Dans le rôle principal, le cinéaste va choisir comme comédien principal David Hemmings, premier rôle du Blow-Up de Michelangelo Antonioni. Un choix qui tombe sous le sens, tant Argento va chercher à mettre son œuvre en parallèle avec le film d’Antonioni, les deux métrages partageant effectivement plusieurs thèmes, dont celui de la multiplicité des points de vue.

Respectant scrupuleusement tous les codes du Giallo, Profondo Rosso va également les magnifier, à l’image de la première scène de meurtre (celui de la medium), présentant un découpage ultra-précis et dynamique alternant gros plans sur les gants, le hachoir et les coups portés (bonjour fétichisme), le tout sur une musique entêtante des Goblin : une mise en scène et une réalisation qui entraînent un impact maximum chez le spectateur. L’aspect le plus intéressant du film est peut-être néanmoins la volonté affichée du réalisateur de proposer une œuvre qui parle autant aux inconditionnels du film de genre qu’aux amateurs d’un cinéma plus réflexif, une opposition sans cesse illustrée dans le métrage, comme cette scène d’introduction montrant le personnage de David Hemmings expliquer à son groupe que leur musique est trop propre, trop formelle, et leur rappeler que la musique jazz est née dans les bordels. On ne manquera pas de vous renvoyer vers l’ouvrage récent Le Grand Cauchemar de mon Choix, de Luciano Curreri et Michel Delville pour explorer plus avant le film du Maestro. Profondo Rosso, où quand les mots « arts populaires » s’harmonisent pour le meilleur.

Vincent Tozzini

Aussi nommé "Vinouze Stallone" pour ses gros biscotos, Vincent est responsable de la section Forbidden Zone du site. Il est également dans l'organisation du festival Offscreen Liège et est le (co)créateur du podcast "Popcorn Club" avec Caroline Poisson. C'est populaire, c'est nostalgique, c'est bon et ça croustille !
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