Les femmes psychotiques dans le cinéma populaire sont partout, et l’ont infusé depuis bien longtemps. L’un des thèmes du Festival Offscreen cette année leur rend hommage. Driving Miss Crazy propose un retour sur certains des rôles de femmes « complétement fêlées » les plus marquants du cinéma. Une thématique bien particulière, mise en lumière par l’ouvrage House of Psychotic Women: An Autobiographical Topography of Female Neurosis in Horror and Exploitation Films, paru en 2012, de la curatrice Kier-La Janisse. Car oui, le cinéma est malheureusement trop souvent une affaire d’homme. On trouve bien sûr des personnages féminins qui en imposent, mais celles-ci sont bien souvent cantonnées à des rôles passifs, commentatrices du statut ou de l’objectif du héros plus que véritable rôle. Pas étonnant que certaines décident donc de se rebeller et finissent par perdre les pédales ! Et si il y a bien un type de personnage qui nous fait incroyablement flipper lorsqu’il pète les plombs, c’est celui qu’on s’est habitué à voir faible le reste du temps.

On pense bien sûr aux rôles d’enfants possédés (L’Exorciste de William Friedkin, Le Village des Damnés de Wolf Rilla..), mais les personnages féminins ne sont pas à sous-estimer. On peut citer Kathy Bates dans Misery, Isabelle Adjani dans Possession, ou encore remonter plus loin dans l’Histoire du Cinéma avec Qu’est-il arrivé à Baby Jane de Robert Aldricht ou Marnie d’Hitchcock… Les exemples ne manquent pas, les actrices sont nombreuses à avoir côtoyé la folie féminine pure, et ni Florinda Bolkan du Venin de la Peur de Lucio Fulci, ni Catherine Deneuve du Repulsion de Roman Polanski, ne viendront nous contre-dire.

Une femme à peau de lézard

Le Giallo (polar italien, pour ceux qui suivent) était en pleine émergence lorsque Lucio Fulci, connu comme un poète du macabre pour ses films d’horreur, décide de tourner Le Venin de la Peur, A.K.A. Lizard in Woman’s Skin. Dans celui-ci, nous suivons Carole Hammond, fille d’un riche avocat, et ses errances oniriques lors desquelles elle entretient une relation charnelle avec sa voisine de palier aux mœurs légers. Un matin, cette voisine, nommée Julia Durer, est retrouvée assassinée et la police soupçonne vite Carole d’être impliquée. Si le film se revendique du Giallo, il s’en écarte volontier sur plusieurs points. En cela, la scène d’introduction du film est une note d’intention très claire. Nous suivons la progression d’une Carole Hammond dans des décors changeants constament sur le rythme d’une musique psychédélique, un rêve voluptueux annonçant le propos onirique et (pseudo)psychanalytique de Fulci (nous assisterons à la présence récurrente d’un psychiatre chargé d’interpréter les rêves du personnage). Loin de faire son entrée dans le monde du cinéma (Fulci commence sa carrière en 1959 et a déjà plus d’une vingtaine de long métrages derrière lui), le réalisateur va s’amuser à faire du Venin de la Peur un film de genre qui n’en est pas un. Ainsi, l’accent n’est presque pas mis sur les meurtres commis, en opposition totale avec les codes du Giallo. Celui qui lance l’intrigue sera visualisé par le prisme des rêves de Carole Hammond, bénéficiant d’une réalisation qui relève plus d’une expérience sensorielle que de la traditionnelle scène de tuerie. Le film propose certes un fil narratif à base de fausses pistes et d’inspecteur détricotant un mystère maille par maille (inspecteur dont le sifflotement incessant provoque d’ailleurs des sommets d’agacement chez le spectateur), mais là où l’oeuvre nous saisit pour ne (presque) plus nous lâcher, c’est lorsque nous partageons les troubles mentaux de la protagoniste et son évolution psychologique, qui passe de la culpabilité à la plus pure paranoïa (la scène des chiens empaillés est en cela excellente). L’ensemble, magnifié par la sublime bande-son d’Ennio Morricone, procure sans aucun doute le véritable attrait du film, l’inscrivant définitivement au panthéon du genre.

L’appartement de l’angoisse

Répulsion de Roman Polanski sort en 1965. Premier volet de sa trilogie non-officielle de l’appartement (avec Rosemary’s Baby et Le Locataire), ce film est une vraie démonstration de la maestria du réalisateur à utiliser son décor comme élément de l’horreur. Nous suivons Carol (oui, encore une), manucure belge vivant à Londres et ayant des relations un tantinet conflictuelles avec les hommes. Elle doit sans arrêt faire face aux avances du jeune Colin et déteste le nouvel amant de sa sœur, un homme pourtant marié. Elle redoute plus que tout de la voir partir avec lui en la laissant seule dans l’appartement. Ce qu’elle craint finit bien entendu par arriver, et l’angoisse prend alors ses quartiers chez notre protagoniste. S’il existe un film représentatif de la thématique des femmes psychotiques et l’explorant dans ses moindres recoins, c’est bien celui-ci. En effet, dès le début, Répulsion nous montre une Carol totalement introvertie, considérée bizarre par tous les autres personnages et surtout, ressentant une répulsion littéralement épidermique pour les hommes. Et c’est bien cette 3ème caractéristique qui va faire basculer progressivement Carol dans la psychose. Polanski traduit les sentiments de notre protagoniste et sa descente aux enfers par des éléments symboliques (des fissures dans l’appartement, un lapin en train de pourrir), des jeux de lumières et de changements de perspectives amenant souvent le film sur la voie de l’expressionisme. La névrose et le sentiment d’insécurité de Carol prendront même une forme physique lorsque nous verrons son lieu de vie, devenu personnage à part entière, tenter de s’emparer d’elle grâce à des bras sortants des murs du couloir. Un pur monument du cinéma, parcouru d’images inoubliables, qui crée énormément avec très peu. Typiquement le genre d’œuvre que l’on adore redécouvrir, que l’on soit psychotique ou non.

Vincent Tozzini

Aussi nommé "Vinouze Stallone" pour ses gros biscotos, Vincent est responsable de la section Forbidden Zone du site. Il est également dans l'organisation du festival Offscreen Liège et est le (co)créateur du podcast "Popcorn Club" avec Caroline Poisson. C'est populaire, c'est nostalgique, c'est bon et ça croustille !
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