La relation de haine-amour entre le 7e et le 10e art.

La relation entre les jeux vidéo et le cinéma vient de très loin. Si les premiers jeux populaires, à la fin des années 1970, étaient très conceptuels et s’appuyaient sur des principes ludiquement simples, les consoles 8 bits et 16 bits, apparues vers le milieu des années 1980, virent un nombre incalculable de jeux directement adaptés de films sortir sur leur support. De son côté, l’industrie cinématographique sentant une nouvelle manne financière poindre à l’horizon, s’est très rapidement mise à faire de sérieux appels du pied à une nouvelle catégorie de spectateurs : les férus (et férues) de jeux vidéo. Depuis, les deux media tissent toujours plus de liens entre eux, notamment à chaque avancée technologique majeure, comme l’apparition des cinématiques. Extraits vidéo (filmés, générés par ordinateur ou utilisant le moteur du jeu) incorporés entre deux séquences de jeu, généralement pour faire avancer la narration, apparues sur jeux vidéo avec le support CD, et l’apparition progressive de motion et performance capture. Technique permettant d’enregistrer les positions et rotations d’objets ou de membres d’êtres vivants, pour en contrôler une contrepartie virtuelle sur ordinateur. , une technique commune aux deux médias.

Du grand au petit écran (et inversement)

L’époque des premières adaptations de film sur console de salon a d’abord vu apparaitre un paquet d’étrons. La faute, déjà, à un secteur industriel pas encore calibré comme aujourd’hui, qui ne prenait pas toujours la peine d’apposer un vrai contrôle qualité à la conception de ses jeux. Ensuite, à une simple question économique : les licences de films coûtaient parfois si cher qu’elles pouvaient engloutir la majorité du budget de développement d’un jeu. À l’époque évidemment (nous sommes toujours dans les années ‘80), le simple nom d’un film à succès pouvait suffire à faire passer les parents à la caisse, les industries vidéoludiques se représentant toujours les joueurs comme des garçons âgés de 6 à 18 ans, ce qui a heureusement changé depuis.

Parmi les catastrophes industrielles, comment ne pas citer le désastreux portage du film E.T. sur Atari 2600, presque responsable à lui seul de la faillite de la boite et du fameux krach du jeu vidéo de 1983 – un événement qui aboutira par ailleurs à l’une des plus célèbres légendes urbaines du folklore vidéoludique : l’enfouissement dans le désert de milliers de cartouches invendues par Atari. C’est également de cette logique poussée à l’extrême et de cette inter-influence constante que certains non-sens absolus sont nés. Rappelez-vous Street Fighter: The Movie, un jeu tiré du film Street Fighter (oui, celui avec JCVD), lui-même issu du jeu du même nom.

Le mariage entre les deux médias ne se résume heureusement pas à des abominations successives. Ainsi, l’un des studios qui s’est le mieux positionné face à ces problématiques est sans doute l’emblématique société d’édition de Georges Lucas, LucasArts. Celle-ci s’est en effet créée dans la continuité de l’énorme succès qu’a connu la saga Star Wars au cinéma et a donc disposé dès le départ d’une indépendance créative totale (enfin, du point de vue de Georges Lucas évidemment) et d’un univers étirable à l’infini permettant des gameplays. “Articulation entre le game, les structures et règles de jeu, et le play, la façon dont le joueur s’approprie les possibilités du jeu en mettant au point ses propres stratégies, pour répondre aux contraintes que les règles constitutives du jeu lui imposent.” – Marc Goetzmann, Thibaud ZuppingerDossier de l’été : les jeux vidéo, terrain philosophique ?. Multiples (jeux de tirs, de rôle, de stratégie… Parmi les jeux « Star Wars » existants, peu de concepts n’ont pas encore été exploités). Bien que les premières productions du studio n’aient, au grand dam des développeurs fraichement engagés, d’abord rien à voir avec la saga aux étoiles (le studio est célèbre pour ses excellents point and click. En français : pointer et cliquer. Un type de jeu à la narration poussée se jouant exclusivement à la souris, notamment les jeux de la série « Monkey Island) », LucasArts finira par sortir quelques excellentes œuvres vidéoludiques prenant place dans cet univers, tels Knight of the Old Republic » et les premiers Battlefront. Par ailleurs, des sagas comme Metal Gear et Final Fantasy sont des jeux extrêmement riches en séquences cinématiques et en références à des films populaires, notamment  (New York 1997) Escape from New York » de John Carpenter pour le premier, et Star Wars pour le second.

Du point de vue du cinéma, les adaptations de jeux n’ont commencé à fleurir que vers le milieu des années 1990 et sont allées crescendo depuis. Si certaines sont plutôt réussies, notamment Silent Hill de Christophe Gans, la plupart de ces films se contentaient malheureusement de quelques citations ou références, mais manquaient d’un réel regard sur le sujet. Outre la flopée d’adaptations produites par l’allemand Uwe Boll – que l’on pourrait généralement qualifier de « qualitativement médiocres » –, l’un des plus célèbres échecs filmiques dans l’imaginaire des joueurs est sans conteste Super Mario Bros. de Rocky Morton et Annabel Jankel, sorti en 1993 et produit par Disney. C’est justement l’une des deux projections du module Game On! proposé par Offscreen Liège 2019.

Super Mario Bros.

En 1993, le cinéma s’intéressait aux jeux vidéo depuis plus d’une décennie au travers de films comme Tron (déjà produit par Disney), War Games ou Starfighter, mais systématiquement en dépeignant directement des joueurs. C’est donc bel et bien avec l’historique Super Mario Bros. que la toute première adaptation en prises de vue réelles aura lieu.

Mais « Super Mario Bros. », le film, c’est quoi ? Tout d’abord, un univers dont la charte esthétique est à des années-lumière de l’original. Il est intéressant de noter que l’intention des créateurs était de dépeindre un monde loufoque et coloré, quelque part entre Le Magicien d’Oz et Alice au pays des merveilles, donc finalement très proche des jeux originaux. Une autre intention était d’intégrer les personnages dans leur parc d’attraction. En réalité, c’est Shigeru Miyamoto lui-même, l’emblématique créateur du plombier moustachu, qui suggère à la production d’explorer d’autres pistes, de ne pas tenter de retranscrire trait pour trait l’univers connu des joueurs, et de plutôt s’aventurer dans la science-fiction, entamant dès lors un très long cycle de réécritures successives.

Au fur et à mesure, le scénario avait tellement changé que lorsque les réalisateurs, Rocky Morton et Annabel Jankel, sont arrivés sur le plateau, le script n’avait plus rien à voir avec la version qu’ils avaient reçue quelques temps auparavant. Ayant du mal à se dépêtrer d’un scénario jugé « complètement idiot », ils vont décider de mettre le plus en avant possible le décorum de l’intrigue. Autant dire qu’à ce niveau, le film n’a pas vraiment de quoi rougir. Si l’on omet la séquence animée du début (je suppose que c’est pour rendre hommage aux animations généralement associées aux consoles 8 et 16 bits, mais tout de même, c’est sacrément moche) et quelques fautes de goût incompréhensibles (et / ou donc hilarantes), le film bénéficie d’une direction artistique de qualité, oscillant entre différentes références populaires, comme Mad Max ou Blade Runner.

En résulte finalement un film souvent captivant pour ses libertés esthétiques inattendues, et souvent rigolos pour ses choix scénaristiques complètement loufoques et certains acteurs en totale roue libre (sacré Dennis Hopper !), avec en prime une joyeuse bande originale signée Alan Silvestri qui parachève de faire de « Super Mario Bros. » un spectacle grand public qui, même s’il est loin de générer beaucoup bienveillance au sein des gamers, a le mérite d’être étonnant à bien des niveaux.

eXistenZ

La seconde projection ardente du module Game On! ne se penchera pas sur une adaptation, mais sur un film traitant directement du medium et représentant des joueurs en action : eXistenZ de David Cronenberg, sorti en 1999, à une période où la thématique du virtuel était particulièrement présente. En effet, l’imminence du troisième millénaire semblait se traduire par une véritable apocalypse du virtuel, où plus que jamais, « la réalité n’est plus ce qu’elle était ». Matrix, Ouvre les yeux (Abre los ojos), Passé virtuel (The Thirteenth Floor) et bien entendu Avalon, les titres cultivant le doute phénoménologique se succèdent avec des fortunes diverses. Également auteur du scénario, Cronenberg réalise « eXistenZ » seize ans après Vidéodrome, lequel pourrait aisément lui faire figure de prologue tant les deux œuvres semblent se répondre, car elles nous parlent toutes les deux de la relation parfois malsaine qu’entretient un protagoniste avec un medium, un portail vers une autre réalité, exposant généralement une part assez sombre de sa psyché.

« eXistenZ » présente en effet des joueurs testant le dernier jeu en réalité virtuelle, et l’intrigue est déployée sur plusieurs niveaux de réalité. Ce parti pris va parfois perdre le public, mais aussi entretenir une certaine forme de doute quant au spectacle qu’on est en train de regarder, car le film explore un large panel de thématiques, allant du questionnement de la réalité au rapport au corps et au sexe en passant par la religiosité, le rapport à l’avatar, et finalement bien peu le jeu vidéo en lui-même.

David Cronenberg n’est pas un joueur, et si bon nombre de réalisateurs ont par le passé justifié leur traitement d’un sujet par leur propre expérience, Cronenberg s’en sert avec un peu d’opportunisme comme un moyen de brasser ses propres thématiques. Le virtuel y est profondément organique, suintant, viscéral et s’inscrit naturellement dans le sillon de la body horror dont Cronenberg s’est fait l’apôtre tout au long de sa carrière. Ceci explique peut-être pourquoi le film reste largement méconnu dans le petit monde du jeu vidéo. Il est cependant apprécié par les gamers ayant pris le temps de s’y intéresser puisque Cronenberg ne passe pas son temps à leur mettre de grands coups de coude dans les côtes, appuyés de clins d’œil insistants. Un film immanquable !

Vincent Tozzini

Aussi nommé "Vinouze Stallone" pour ses gros biscotos, Vincent est responsable de la section Forbidden Zone du site. Il est également dans l'organisation du festival Offscreen Liège et est le (co)créateur du podcast "Popcorn Club" avec Caroline Poisson. C'est populaire, c'est nostalgique, c'est bon et ça croustille !
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