Le sous-genre de la folk-horror fait partie de l’un des pans les plus populaires du cinéma d’exploitation, au point d’être parvenu à rassembler un ensemble de motifs identifiables dans l’imagerie du film d’épouvante. Parmi ceux-ci, des récits tournant autour de la sorcellerie, des superstitions, des religions et autres dérives sectaires de communautés fanatiques de divinités en tout genre. On y retrouve des ambiances lugubres embrassant une esthétique gothique, parfois proche du conte. Les campagnes et zones perdues y sont légion, éloignant l’homme dit « civilisé » hors des limites de sa notion de société traditionnelle. L’hystérie humaine y est centrale, voilant les regards sur ce qui est réel ou surnaturel. Ce cinéma dépeint une obsession pour des figures aussi bien divines que démoniaques, s’arquant autour de légendes communautaristes.
La folk-horror anglaise est le résultat d’un mal-être généralisé en Angleterre d’après Seconde Guerre mondiale ainsi que de l’effondrement de pensée de la culture hippie des années 60. On retrouve un grand nombre de titres légendaires du mouvement comme Le Repaire du Ver Blanc (1988) de Ken Russell ou La Nuit des Maléfices (1971), de Piers Haggard. Le genre va trouver ses résonances jusqu’à aujourd’hui avec entre autres, Midsommar (2019), qui incarne désormais le porte-étendard du cinéma folk horror moderne dans l’imaginaire collectif. Ce que beaucoup de spectateurs et spectatrices ignorent encore, c’est que le film d’Ari Aster est lui-même inspiré du véritable grand représentant du mouvement : The Wicker Man (1973) réalisé par Robin Hardy.

On y décrit comment le sergent Neil Howie (Edward Woodward), chrétien de naissance à la moralité inébranlable, doit enquêter sur la disparition d’une jeune fille sur une île écossaise à la communauté singulière. Ce lieu est le théâtre de rites païens atypiques orchestrés par Lord Summerisle, sorte de gourou local campé par Christopher Lee dans ce qu’il considère lui-même comme son plus grand rôle. Les réponses semblent ici dissimulées malgré l’atmosphère aussi positive que radieuse, le soleil régnant en maître.
The Wicker Man va prendre à contrepied l’imaginaire judéo-chrétien, dépeint comme sectaire et se retrouvant confronté à un autre, beaucoup plus extrême et libertaire, mais paradoxalement moins froid. Robin Hardy présente la mentalité de la secte de l’île comme plus heureuse et ouverte d’esprit que celle du protagoniste. Rien n’est caché au spectateur, toutes les traditions locales, résolument tournées autour du plaisir de la chair, sont dévoilées dans un joyeux esprit hippie et libertin. Jamais le cinéaste ne semble traiter réellement les habitants de l’île comme de véritables antagonistes, il est plutôt question d’opposer deux points de vue de civilisation différents, mais dont la finalité de pensée trouve des similarités. Les païens sont largement associés ici à la culture hippie des sixties.
Les symboles phalliques et les rapports à la sexualité libertaire seront nombreux au sein du film. Tout semble mis en œuvre pour détourner le sergent Howie de son objectif dans cet environnement où tout le monde semble en savoir plus qu’il ne veut bien le dire. Cet état de perte progressive de repères est constamment mis en opposition avec l’atmosphère lumineuse et solaire de l’île. Tout apparaît lucidement et en lumière pour le spectateur comme pour le protagoniste, là où ce dernier est petit à petit plongé dans l’obscurité.
Le sergent Howie est un personnage dont on tente ici d’ébranler les convictions profondes, le faire céder à la tentation et remettre en question ses croyances. Christopher Lee incarne une forme de diable positif mettant tout en œuvre pour faire succomber le protagoniste aux coutumes locales, laissant présager un final cruel. Le légendaire acteur anglais fut l’un des principaux éléments promotionnels du film, voulant probablement laisser présager une continuité qualitative et thématique avec ses prestations d’anthologie au sein de la Hammer (Dracula, Frankenstein,…). Les rituels païens que ce gourou fait pratiquer sur l’île sont repris des véritables cultes originels, The Wicker Man se permet donc d’inclure une dimension documentaire dans son traitement, se voulant objectif et sans jugement.
Le long-métrage déploie également un certain aspect comique lors de quelques séquences, jouant sur des dialogues et situations grotesques, adoptant presque un ton enfantin, désarçonnant d’autant plus le protagoniste. On ne trouve que peu de rapport au genre fantastique, le cinéaste préférant inclure cette communauté dans un réalisme très terre-à-terre où seuls les symboles trouvent de l’importance. Il est finalement assez rare d’avoir de véritables éléments horrifiques, The Wicker Man préférant développer ses allures dans son étrangeté normalisée opposée à la pensée dite « civilisée ». Le long-métrage rassemble la vision d’une société chrétienne en la mettant en relation avec le paganisme, résultant en un dialogue de sourds duquel personne ne peut sortir vainqueur. Il sera proposé au spectateur de voir ces deux visions aussi opposées que similaires s’entre-déchirer.
Dans cette querelle aussi bien idéologique que théologique, The Wicker Man offre un regard fascinant sur les idéologies des seventies, jusqu’à un final aussi iconique que fataliste. Il s’agit sans aucun doute de la pierre angulaire du cinéma de folk-horror, ayant frontalement inspiré toutes les grandes œuvres du genre, jusqu’au précédemment cité Midsommar d’Ari Aster. La figure gigantesque de l’homme d’osier sera destinée à devenir au fil du temps l’une des icônes les plus importantes du cinéma d’épouvante, en plus d’être une forme de témoignage de son époque.
Sans en révéler plus, le film de Robin Hardy aura l’honneur d’être l’ouverture de l’édition 2025 de la délocalisation liégeoise du Festival Offscreen au ciné-club Nickelodéon ce mardi 01/04.
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Vladimir Delmotte
Dit «Le Comte», Vladimir est passionné de cinéma depuis qu’il est tombé sur une rediffusion CANAL+ en crypté de «Gorge Profonde». Il n’a de cesse depuis lors de hurler sur des publics de cinéclub, voire sur de simples passants dans la rue pour expliquer à quel point les images en mouvement, c’est trop génial. Plus de publications u>