Le mouvement de la « Weird Greece » englobe le cinéma d’exploitation grec ainsi que ses héritiers. Dès les années 60, les films locaux vont plonger la tête la première dans les motifs les plus récurrents du bis, à savoir le sexe et la violence. La singularité de ces œuvres vient du contexte paradisiaque de la Grèce et de son climat ensoleillé. Dans ce fleuron fertile aux bas instincts du spectateur, on retrouve des œuvres controversées comme The Wild Pussycat (1969), The Fear (1966) ou le politiquement incorrect L’île de la mort (1976). Ces films furent produits suite à la prise de pouvoir par coup d’état du Régime des Colonels. Les cinéastes locaux, désormais obligés de travailler sous le joug d’une télévision d’État, réussiront à exploiter un cinéma tourné vers des motifs très brutaux qu’ils pourront exporter dans les circuits étrangers underground. Le sexe et le soleil y seront souvent les sujets les plus prégnants à l’écran. On considère qu’une grande partie de ces films a disparu aujourd’hui.

Dès la fin des années 2000, un petit groupe de cinéastes grecs tente de relancer l’industrie cinématographique locale face à la crise économique rencontrée par ce système. Certaines thématiques morbides de la Weird Greece y seront réutilisées, mais avec un travail de mise en scène largement plus marqué, donnant naissance à certains cinéastes aujourd’hui acclamés par le grand public comme Yorgos Lanthimos (Dogtooth, The Lobster, Poor Things,…).

C’est dans ce cadre que va émerger Suntan (2016), troisième réalisation du grec Argyris Papadimitropoulos. Il va décrire comment Kostis, médecin sur l’île d’Antiparos depuis peu, va petit à petit sombrer dans une forme de folie destructrice. Le lieu, d’apparence paradisiaque, se veut résolument tourné vers une atmosphère estivale où le soleil irradie littéralement le paysage ainsi que ses occupants.

Kostis semble inadapté à son environnement tant il n’est manifestement pas là par plaisir. Quadragénaire bedonnant, chauve et visiblement peu à l’aise avec les contacts sociaux, il va faire la rencontre d’une pléiade de touristes naturistes sur une plage. Il y sera pourtant présenté comme tout habillé, laissant supposer un embarras de son propre corps. Dès lors, le réalisateur le décrit comme en contradiction avec des personnages beaucoup plus libérés et assurés que lui. Parmi un groupe de vacanciers jeunes et modernes, autant dans l’esprit que dans l’expression du corps, le protagoniste va ressentir une puissante attirance envers une jeune femme, Anna, après qu’un rapprochement passager ait eu lieu entre eux.

Argyris Papadimitropoulos oppose une européenne belle, jeune, déconstruite, confiante et originaire d’un milieu probablement aisé avec un homme n’étant en connexion avec aucun de ces concepts. Pour Kostis, ce simili spring break sous forme de microcosme semble l’attirer tout en lui faisant développer un sentiment envieux car renvoyant à ses propres manques et échecs. Le groupe de visiteurs semble uniquement présent sur l’île d’Antiparos dans le but de festoyer et s’enivrer sans vraiment offrir un quelconque intérêt ou respect à la culture locale ou à ses habitants. Le cinéaste semble se positionner du regard de son personnage principal sur ces touristes. Les lieux sont convertis pour cette période de vacances en plages surpeuplées et discothèques dans lesquelles l’alcool va couler à flots.

Kostis, voulant fuir son ennui, va se retrouver entraîné à rejoindre ce groupe de vacanciers qu’il fantasme, sombrant rapidement dans la boisson tandis que son obsession pour la jeune Anna ne cesse de grandir. Celle-ci semble cependant maîtresse d’elle-même et n’associe leur rapprochement qu’à un instant anecdotique. Elle représente pour le protagoniste une forme de chaleur manquant à sa vie froide et sans but précis. On apprend également en tant que spectateur que l’île est pratiquement vide la quasi-totalité de l’année, cette rencontre pourra être perçue comme le seul instant d’animation dans la vie de Kostis.

La croyance en un amour ou à une attraction superficielle est l’un des éléments que le cinéaste souligne dans ce métrage dont l’image semble imbibée par la boisson au fur et à mesure de son avancement. Si l’on sent que tout ne va pas forcément aller vers un mieux, Papadimitropoulos réussi cependant à créer une empathie réelle avec son personnage principal. Celui-ci est filmé comme un être triste et vide, enclenchant sa descente simplement pour avoir cru en quelque chose de fort.

La situation devient rapidement étouffante, autant par son atmosphère que par les actions et la chute progressive de Kostis. La température estivale liée à l’abondance d’alcool à l’écran semble le ternir considérablement, cela peut se montrer également éprouvant pour le spectateur. Le cinéaste dépeint un personnage dont l’esprit est dévoré par l’idéalisation qu’il se fait de la jeune femme, elle représente d’une certaine manière son propre échec. La descente aux enfers est totale sur tous les plans pour lui. Suntan vient rappeler par moments Wake in Fright (1971) de Ted Kotcheff dans la manière dont son personnage principal va sombrer dans l’alcool dans un environnement caniculaire faisant office de micro-société. On y retrouvera cette même homogénéité entre un univers lumineux et un règne de décadence. Papadimitropoulos rappelle quelque part le mythe d’Icare : en volant trop près du soleil, les ailes du protagoniste brûlent, laissant présager une issue fatale.

Il est à noter que le film risque d’être difficile à visionner pour certaines et certains tant il peut se révéler très violent psychiquement par son discours comme dans les actions de ses personnages. Par ses thématiques et environnement, Suntan peut être considéré comme un descendant, voire un héritier direct de la « Greek Weird Wave ».

Ce courant, tourné autour de la sexualité et la jalousie, est l’un des axes principaux de l’édition 2025 du festival Offscreen et Suntan, qui y sera projeté le 08/03 au Nickelodéon, en est un moyen d’en avoir une vision représentative modernisée.

Amateurs, curieux,…

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Vladimir Delmotte

Dit «Le Comte», Vladimir est passionné de cinéma depuis qu’il est tombé sur une rediffusion CANAL+ en crypté de «Gorge Profonde». Il n’a de cesse depuis lors de hurler sur des publics de cinéclub, voire sur de simples passants dans la rue pour expliquer à quel point les images en mouvement, c’est trop génial.

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