Le cinéma de genre francophone ne cesse ces dernières années de trouver un intérêt croissant aux yeux des spectateurs, au point d’atteindre parfois les sphères grand public. La plupart de ces oeuvres singulières ayant à leur tête un/une cinéaste au début de sa carrière se font de plus en plus nombreuses et profitent de divers festivals mettant en avant un cinéma différent, ce afin d’espérer un tremplin conséquent pour un projet cinématographique souvent mené par un « high concept ». Else, premier film du français Thibault Emin, entre totalement dans cette catégorie.
Le récit propose de dépeindre la façon dont un couple en pleine floraison, et prisonnier de l’étroitesse d’un appartement, va devoir faire face à un phénomène d’ampleur planétaire sans précédent. Un virus aux propriétés exceptionnelles semble décimer la population mondiale, provoquant, de façon littérale, la fusion de toute matière avec le corps humain. Il semble que personne ne soit correctement préparé pour faire face à cette maladie dont la transmission se fait par simple contact de regard avec les personnes infectées.

En tout bon film de genre, Else peut être vu de différentes manières. Il est possible d’y voir un film catastrophe fantastique en huis clos, tout comme une histoire d’amour intimiste entre deux êtres forcés de cohabiter et que tout semble opposer. Le cinéaste a commencé à penser ce projet plus de 10 ans avant sa sortie et appréhende en réalité le présent film comme le remake de l’un de ses précédents courts-métrages. Il définit d’ailleurs Else comme un travail où le concept même de « fusion » présent au sein du film fait écho à sa création, le résultat final étant un rassemblement mixte de nombreuses idées et créations passées et le moins qu’on puisse dire, c’est que ça se ressent.
La maladie dépeinte est exposée de manière singulière. Nous serons gavés des mêmes informations que le couple de personnages principaux via les différents médias. Les êtres humains contaminés et transformés en créatures polymorphes indescriptibles sont esquissés, mais nous n’aurons jamais en tant que spectateur une compréhension absolue de ce que sont devenus ces personnes. Else se montre assez lovecraftien sur le fond comme dans la forme. Ce qui nous est montré semble indéfinissable, trop abstrait pour notre propre intellect. Il est difficile de savoir si ces créatures sont réellement agressives envers les différents protagonistes, le seul élément scénaristique dont le spectateur dispose est qu’il faut à tout prix éviter de croiser leur regard sous peine de fusionner à son tour avec la matière. Nous sommes insignifiants face à l’inéluctable évolution de cette maladie et de ces monstres, c’est bien par l’indiscernable et non par le sang ou la violence à outrance que Thibault Emin va développer son univers.

Le film embrasse le sous-genre horrifique du « body horror », concept popularisé par des cinéastes comme David Cronenberg (La Mouche, Chromosome 3,…) ou Shin’ya Tsukamoto (Tetsuo, Hiruko the Goblin,…), d’ailleurs 2 influences assumées du cinéaste. Il est ici question d’étudier les possibilités de modifications et de transformations du corps humain à l’écran. Si le genre est essentiellement associé au cinéma d’épouvante tourné vers le gore, Thibault Emin en offre une vision plus proche d’un laboratoire expérimental effleurant même par moment une certaine poésie. Doté d’un budget serré, le réalisateur va embrasser un minimalisme dans la représentation de la fusion/mutation des sujets filmés. La plastique de ses monstres marie des effets spéciaux pratiques à une photographie travaillée, offrant une cohérence et un visuel qui lui est propre. Nous n’aurons bien souvent que quelques éléments visibles des créatures à l’écran, régulièrement un unique œil, symbolisant le regard que l’on doit éviter et que notre statut de simple spectateur nous forcera à regarder pleinement.
L’atmosphère générale de Else, très étouffante par son récit en huis clos, va plonger peu à peu ses personnages dans un univers science-fictionnel teinté d’une ambiance de fin du monde. Le tout sera appuyé par des images générées par intelligence artificielle pour certains plans ainsi qu’une utilisation de filtres sur l’image donnant au résultat final un cachet très expérimental. Le décor lui-même sera amené à être altéré, traitant autant de la propagation du virus, que de la relation unissant les protagonistes.

Au-delà de son aspect visuel et de son scénario « high concept », Thibault Emin semble surtout s’intéresser à l’histoire d’amour engageant ses 2 personnages principaux confinés ensemble. Ce tout jeune couple se voit presque contraint de vivre emprisonné sous le même toit, tentant de vivre une vie normale en construisant petit à petit leur union, tandis que le monde extérieur tel qu’ils l’ont connu meurt à petit feu. Leurs personnalités sont opposées et pourtant, une puissante alchimie va naître de ces contraires dans un monde où tout sera bientôt homogénéisé par les forces de la nature. Ils sont le moteur principal du récit et viennent entrer en collision avec ce virus programmant la fusion des corps à la matière. Dès lors, Else pose implicitement la question suivante : comment construire une histoire et aimer quelqu’un que l’on ne peut même plus regarder dans les yeux ? Le film aborde également le thème de la fusion par le prisme de cet amour qui unit 2 êtres pourtant radicalement opposés dans leurs comportements.
Il s’agit donc d’un authentique film de genre onirique, assez unique dans le paysage cinématographique actuel, traitant d’une histoire d’amour d’une manière singulière sous fond de cinéma expérimental tout en s’inspirant d’une actualité pas si lointaine.
En raison de cette fusion terriblement marquante, Else a été projeté en ouverture du festival du film culte Offscreen le 12 mars 2025, tandis qu’une projection pour la décentralisation liégeoise de celui-ci se tiendra le 10 avril 2025 au cinéma Churchill (Les Grignoux). Le tout en présence de Thibault Emin, nous faisant l’honneur de sa venue.
Amateurs, curieux,…
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Vladimir Delmotte
Dit «Le Comte», Vladimir est passionné de cinéma depuis qu’il est tombé sur une rediffusion CANAL+ en crypté de «Gorge Profonde». Il n’a de cesse depuis lors de hurler sur des publics de cinéclub, voire sur de simples passants dans la rue pour expliquer à quel point les images en mouvement, c’est trop génial. Plus de publications u>