Les réalisateurs underground officiant dans la série B regorgent de marginaux atypiques offrant leur lot de films, anecdotes et moments cultes. C’est le cas de Jeff Lieberman.

Né en 1947 à Brooklyn, il s’oriente vers des études de dessin à l’école des Arts visuels de New York. Ne s’intéressant pas vraiment au cinéma à l’origine, c’est Blow Up d’Antonioni qui fera naître chez lui l’envie de travailler dans le 7e art. En 1972 sort son premier film : The Ringer, un court-métrage ayant pour but de dissuader les adolescents de l’époque de consommer de la drogue, et se double d’une critique du capitalisme (Lieberman établissant un lien entre le commerce de la drogue et les excès de la société de consommation américaine). Il réalisera par la suite 5 longs-métrages. Son premier, Squirm (1976), fait écho à la vague de films d’animaux tueurs (L’incroyable Alligator, Piranhas, L’Horrible Invasion…) débutés dans les sixties. Tourné avec de véritables vers, le film bénéficiera du talent du jeune Rick Baker aux effets effets spéciaux et aux maquillages. Lieberman passera cependant à côté d’un autre futur grand nom lors du casting, rejetant la prestation de Kim Basinger, considérée comme « trop belle » pour jouer dans un film avec des vers tueurs. Squirm obtiendra néanmoins un petit succès et deviendra culte dans le milieu punk de l’époque.

Le cinéaste réalisera en 1981 Just Before Down, une série B jouant la carte du « survival », sous-genre dans lequel on peut classer Texas Chainsaw Massacre ou encore Deliverance. Lieberman considère ce tournage comme sa meilleure expérience sur un plateau… À l’inverse de Remote Control, son long-métrage suivant, qui sera décrit par son réalisateur comme le pire tournage de sa carrière. Parodiant les films de science-fiction des années 50, le métrage raconte l’histoire d’une cassette tueuse (bien avant The Ring) et prendra 7 ans à être réalisé. Le cinéaste, épuisé, prendra ensuite 16 années avant de réaliser un nouveau film.

Jeff Lieberman sera en parallèle aux manettes de quelques séries/téléfilms pour le petit écran (Jusqu’à ce que la mort nous sépare, Sonny Liston…) et scénarisera également l’improbable L’histoire sans fin 3. Il conclut sa carrière de réalisateur avec un cinquième et dernier film intitulé Satan’s Little Helper en 2004. Il est question ici d’un jeune enfant naïf se retrouvant à aider, sans s’en rendre compte, un tueur en série qu’il prend pour Satan. Lieberman, en tout bon acteur du cinéma bis qu’il est, expliquera à ses comédiens la marche à suivre pour « étriper » quelqu’un, ironisant que selon lui, un réalisateur est censé tout savoir de ce que doit effectuer son équipe sur un plateau de tournage. Sans être le plus innovant des cinéastes, mais doté d’une sincérité sans faille rehaussée d’une belle férocité et d’un vrai sens de l’artisanat, Lieberman se taillera une réputation méritée de maître de l’horreur malgré sa courte filmographie.

Son film le plus populaire reste néanmoins son second long-métrage sorti en 1977 : Blue Sunshine. Étrange mélange de polar flirtant avec le fantastique, le film se pose comme une suite spirituelle à The Ringer, dont il prolonge la thématique et l’exploration visuelle des effets dévastateurs de la drogue (à l’époque entouré de hippies, le réalisateur était d’ailleurs convaincu que l’un d’eux pourrait devenir président.) Habitué des petits budgets, Lieberman réalisera le projet pour seulement cinq-cent-mille dollars. S’inspirant de rumeurs prétendant que les effets de la drogue provoquaient des mutations similaires à celles des radiations durant les années 50, Lieberman s’attarde sur un groupe de personnages dérangés se retrouvant confrontés à une drogue expérimentale aux effets saisissants, un produit à retardement provoquant perte de cheveux (une image emblématique du film, qui s’ouvre sur un plan de lune évoquant un crane humain chauve) et, surtout, les transformant en dangereux psychopathes…

A la sortie du long-métrage, le cinéaste s’interrogera sur la réception de son film par les consommateurs de substances illicites… et découvrira avec surprise que les dégradations physiques et psychologiques décrites dans le film – ouvertement excentriques bien qu’inspirées de véritables éléments -, étaient considérées par certains journalistes comme véridiques, en particulier suite à une interprétation erronée du texte apparaissant à la fin du long-métrage. De quoi atterrer Lieberman, qui affirme ne plus croire les journaux depuis.

Blue Sunshine reste à ce jour le plus gros succès critique du cinéaste. Encore plus que Squirm, le film conserve un statut culte, en particuliers grâce à certains mouvements musicaux d’époque qui se sont appropriés le long métrage pour mieux le réintroduire dans leur culture. Il était projeté par exemple en fond de concerts au CBGB’s, temple du punk à New York (on y retrouvait des artistes comme Blondie, les Talking Heads, The Ramones…), et ne manqua pas d’inspirer des musiciens comme Robert Smith, qui donnera à un des album de son groupe The Glove le titre du film.

Cinéaste totalement dans l’esprit bis et étrange du festival Offscreen, Jeff Lieberman mérite d’être redécouvert à plus d’un titre – et ce, quel que soit votre style capillaire !

Join the cult !

Article rédigé par Vladimir Delmotte